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parti conservateur lui-même, on aurait peut-être frayé le chemin à l’anarchie ou à la dictature, — à la dictature à travers l’anarchie. Ce sont là justement les considérations qui rehaussent le rôle et les devoirs de la commission des trente au moment où elle va se prononcer sur les questions aussi délicates que complexes qu’elle a été chargée d’étudier et de résoudre.

L’erreur ou le malheur de certaines fractions conservatrices de l’assemblée a été de se méprendre assez gravement sur notre situation, de méconnaître la seule politique possible aujourd’hui pour la France, en paraissant engager une lutte de susceptibilités, d’arrière-pensées, ou même de principes si l’on veut, contre le gouvernement, lorsqu’il s’agissait bien plutôt de s’entendre avec lui pour trancher des questions de l’intérêt le plus immédiat et le plus pressant. Que les esprits extrêmes de la droite poussent jusqu’au bout cette guerre au nom de la légitimité qu’ils croient servir, rien de plus simple : ce sont les radicaux de la royauté ; c’est l’éternel penchant des radicaux de la droite ou de la gauche de tout sacrifier à une idée fixe, à un intérêt de parti. Les esprits plus réfléchis et plus modérés ont bientôt senti qu’ils s’engageaient dans une voie sans issue. Ils se trompaient en effet, et, s’ils n’ont pas été suivis dans leur campagne, c’est qu’ils se laissaient entraîner à une politique qui ne répondait ni à l’instinct du pays, ni aux nécessités publiques, c’est qu’on n’a pas voulu aller, fût-ce en fort bonne compagnie, à une périlleuse aventure. Ils s’affaiblissaient ainsi eux-mêmes aux yeux de la nation, ils compromettaient leur autorité de politiques et de sages le jour où ils semblaient cesser d’être les conseillers sympathiques, les appuis du gouvernement, pour prendre l’apparence d’ennemis décidés à marcher sur lui, à le subjuguer, à le réduire à merci ou à l’abattre, au risque de donner le signal de nouvelles crises, pour lesquelles, il faut l’avouer, le public a peu de goût. Chose curieuse et qui s’est vue plus d’une fois depuis un an, on a poursuivi, harcelé le gouvernement sur des points où il avait raison de résister, dans des occasions où en se défendant il sauvegardait l’intérêt du pays, les dernières garanties qui nous restent, et on lui a cédé là où il n’avait pas toujours raison. Ou l’a quelquefois entouré de susceptibilités et de méfiances pour des choses presque puériles ou dangereuses, et on l’a laissé libre lorsqu’on aurait pu lui rendre service à lui-même en s’efforçant de l’arrêter ou de le stimuler sans le blesser. Là est le faux calcul. Les hommes éclairés des fractions conservatrices auraient pu et pourraient encore exercer bien plus utilement leur influence, si, au lieu d’avoir toujours l’air de mettre en doute l’existence du gouvernement et de lui disputer son avenir, ils mettaient de côté toutes ces discussions vaines et irritantes sur le caractère définitif ou provisoire de la république, pour s’attacher à ce qui intéresse le plus essentiellement le