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de la propriété, si l’on ne pouvait plus craindre en conséquence que « la souveraineté du nombre » fît tomber quelque jour le gouvernement entre les mains d’une classe politiquement et socialement dangereuse, aussitôt les libertés politiques, la liberté électorale, la liberté parlementaire, la liberté de la presse, des associations et des réunions, perdraient tout caractère de « nuisance » pour n’être plus que d’utiles instrumens de contrôle et de réforme. Désormais à l’abri de leurs erreurs et de leurs excès, les intérêts dont elles ont jusqu’à présent menacé la sécurité ne seraient plus dans la nécessité de se protéger contre elles par la dictature ou l’état de siège. Il resterait sans doute toujours aux ennemis de l’ordre social la ressource de recourir aux moyens révolutionnaires; mais un gouvernement, solidement fixé dans la classe qui réunit au plus haut degré la richesse et la capacité politique, préservé d’un autre côté des abus et de la corruption du monopole par l’intervention et le contrôle de la masse de la nation représentée dans la seconde chambre et pourvue des libertés nécessaires, ce gouvernement à la fois conservateur et libéral ne pourrait-il pas mieux qu’une dictature ou une monarchie appuyée exclusivement sur un pays légal de censitaires défier les tentatives révolutionnaires, surtout s’il évitait prudemment de placer son siège au foyer même des révolutions ?

On prétend à la vérité qu’une chambre haute, émanée du suffrage restreint, demeurerait sans autorité en présence d’une seconde chambre nommée par le suffrage universel, on soutient même d’une manière générale que les chambres hautes, à l’exception de la chambre des lords et du sénat américain, jouent aujourd’hui un rôle fort secondaire, et qu’on pourrait à la rigueur les supprimer comme des rouages inutiles; mais est-il besoin de faire remarquer que l’autorité d’une chambre dépend avant tout de l’importance des intérêts qu’elle représente et de l’étendue de ses prérogatives, quels que soient d’ailleurs son mode de formation et le rang qui lui est assigné? Si, comme le sénat belge, elle représente le même corps électoral que la seconde chambre, et si elle est chargée de la même besogne, pourra-t-elle être autre chose qu’une doublure? Si elle est nommée par un roi ou un empereur, comme la chambre des pairs de la monarchie de juillet ou le sénat de l’empire, et ne représente par suite que l’intérêt dynastique, aura-t-elle dans le pays d’autres racines que celles de la dynastie elle-même? De plus, comme elle lui empruntera toute sa force, elle ne pourra évidemment lui en prêter aucune, elle sera une non-valeur politique. Si au contraire, comme la chambre des lords, elle est la représentation d’une classe puissante par la richesse et l’influence unies à la capacité politique, elle sera puissante et influente, quand