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de possession analogue à celle de la classe agricole ou industrielle par exemple, c’est-à-dire à l’abri du risque d’être brusquement expulsée de ses positions par quelque nouvelle couche sociale, dont la nation ait à payer les frais d’apprentissage. Dans ce cas seulement, un gouvernement peut soutenir, en ce qui le concerne, l’effort de la concurrence internationale, qui s’exerce par la politique et la guerre aussi bien que par l’industrie. De même la sécurité intérieure ne peut être préservée qu’à une condition : c’est que le gouvernement ne soit point exposé, par un vice organique, à passer entre les mains d’une classe hostile à la propriété. Enfin la liberté ne peut être assurée qu’à cette autre condition, que le gouvernement ne soit point le monopole exclusif d’une classe quelconque.

Ces conditions nécessaires, les gouvernemens qui se sont succédé en France depuis un demi-siècle ne les ont qu’imparfaitement remplies, et ils ont péri pour y avoir manqué. Toutefois ils en ont approché plus ou moins, et leur durée a été d’autant plus longue qu’ils en ont approché davantage. C’est sans contredit la monarchie constitutionnelle qui en a été le plus près, c’est elle qui a le plus complètement procuré à la France, au prix des moindres sacrifices, les biens précieux qu’une nation demande à son gouvernement; c’est elle aussi qui a vécu le plus longtemps : elle n’a pas duré moins de trente-quatre ans, tandis que l’empire n’a eu que dix-neuf ans d’existence, et la république de 1848 moins de trois ans. A quoi donc convient-il d’attribuer cette supériorité incontestable de la monarchie constitutionnelle? Est-ce, comme on le croit encore généralement, à l’institution de la monarchie héréditaire? S’il en était ainsi, si l’hérédité, maintenue par une exception unique pour la première fonction de l’état, avait la vertu d’augmenter l’aptitude du gouvernement à remplir sa mission, il faudrait bien en passer par là et accepter cette anomalie nécessaire : il faudrait renoncer pour toujours à la république, et revenir d’une manière définitive à la monarchie constitutionnelle ; mais l’hérédité monarchique a-t-elle cette vertu? Est-ce bien grâce à elle que le régime constitutionnel a subsisté en France de 1814 à 1848 ? Supposons que Louis XVIII eût octroyé le suffrage universel avec la liberté électorale, ou que Louis-Philippe l’eût établi, combien de temps la monarchie constitutionnelle aurait-elle duré? Aurait-elle pu vivre à moins de se transformer en une dictature analogue à la dictature impériale? Au risque de sembler commettre un paradoxe, ne peut-on pas affirmer, en se fondant sur l’expérience, que l’hérédité monarchique n’a été qu’une pièce secondaire dans le mécanisme constitutionnel? Ne pourrait-on pas soutenir même qu’elle lui