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tait-elle pas trop souvent ici en retard sur la loi? Combien d’ouvriers sont demeurés imprévoyans comme des enfans ou des sauvages, vivant au jour le jour, n’ayant aucune idée de la responsabilité! Comment la liberté ne leur aurait-elle pas été dure? comment ne l’auraient-ils pas maudite, et la société avec elle? Faut-il donc s’étonner s’ils ont prêté une oreille complaisante à ceux qui leur montraient le remède à leurs maux dans une révolution sociale? Connaissaient-ils les conditions d’existence de la société? Dans leur état d’ignorance ou de demi-instruction, pouvaient-ils se rendre compte des impossibilités économiques du collectivisme, du mutuellisme ou du crédit gratuit? Quand on examine de près la situation matérielle des classes ouvrières, que l’on considère surtout l’état de minorité naturelle où elles sont en grande partie demeurées, on s’explique la faveur avec laquelle elles ont accueilli des doctrines qui sont à la mesure de leur développement intellectuel, et qui répondent à leurs dispositions morales. On peut combattre sans doute la propagande du socialisme, on peut encore l’affaiblir en pratiquant avec intelligence et résolution une politique réformiste, mais cela ne peut se faire en un jour. Ni l’instruction sérieuse, ni les réformes vraiment efficaces ne s’improvisent, et en attendant les doctrines subversives font leur chemin dans les esprits. Nous savons parfaitement que ces doctrines sont inapplicables, et qu’une société collectiviste ou communiste ne pourrait pas vivre; mais on peut, en vue d’établir cette société chimérique, bouleverser la société existante, et, par ce que nous ont coûté de simples révolutions politiques, nous pouvons conjecturer ce que nous coûterait une révolution sociale. Des années seraient nécessaires pour relever les ruines qu’elle aurait faites en quelques mois ou en quelques jours. Les classes menacées par les apôtres de la liquidation sociale ont le sentiment très vif de ce péril, peut-être s’en exagèrent-elles la proximité; mais il existe, et il faut s’en préserver. Or il ne suffit pas pour cela que le gouvernement soit capable de repousser par la force une invasion brutale du socialisme révolutionnaire, il faut encore qu’il soit constitué de manière à en empêcher l’invasion légale. En d’autres termes, il faut que le gouvernement demeure inaccessible aux socialistes, eussent-ils de leur côté la majorité numérique, — sinon point de sécurité intérieure.

De même que la sécurité intérieure, la liberté est exposée à des dangers particuliers, moins apparens peut-être, mais qu’il n’est guère moins important d’écarter, soit qu’on se place au point de vue des progrès nécessaires des nations maintenant soumises à la loi de la concurrence, soit qu’on envisage simplement l’intérêt bien entendu des gouvernemens eux-mêmes. Toute diminution de liberté