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cette informe et redoutable apparition que la nation effarée s’est réfugiée dans les bras d’un dictateur de rencontre. A qui la faute? Les républicains de secte, qui croient que la république ne peut faillir parce qu’elle est la république, s’en prennent naturellement à ses ennemis, et ils attribuent sa chute uniquement à la perversité des faiseurs de coups d’état. — Mais comment s’expliquer que la France se soit rendue complice de ces pervers, qu’elle ait accueilli le 18 brumaire avec un enthousiasme voisin du délire et qu’elle ait couvert d’un bill d’indemnité l’acte de forfaiture du 2 décembre? Cette complicité pourrait-elle trouver une explication raisonnable, si la république avait été, nous ne disons pas un gouvernement infaillible, mais simplement un gouvernement supportable?

Ce n’est pas, quoi qu’on en dise, en dehors des gouvernemens qu’il faut chercher les causes de leur chute, c’est en eux-mêmes. Ils ne peuvent durer qu’à la condition d’être appropriés aux besoins qu’ils ont à satisfaire, adaptés aux services qu’ils sont destinés à rendre, et comme ces besoins s’étendent et se modifient sans cesse, comme ces services se multiplient et se compliquent tous les jours, les gouvernemens doivent progresser d’une manière parallèle. Ceux qui ne se transforment point font place à d’autres et ceux-ci succombent à leur tour, s’ils demeurent au-dessous de leur tâche, jusqu’à ce que d’essai en essai, de chute en chute, on arrive, en profitant des dures leçons de l’expérience, à une constitution politique qui convienne à la société renouvelée.


I.

Que sont de nos jours les nations civilisées? De vastes associations politiques et économiques, qui se trouvent parfois à l’état d’hostilité et toujours en concurrence les unes avec les autres. Quand l’état d’hostilité devient aigu, quand la guerre éclate, — et elle n’éclate, hélas! que trop souvent, — la victoire se fixe presque toujours du côté de la nation dont les forces et les ressources de toute sorte ont été aménagées avec le plus de sagesse et développées avec le plus d’intelligence et d’activité pendant la paix. Or il y a deux conditions qui ont été de tout temps presque également nécessaires au bon aménagement des forces et des ressources des nations, et dont le caractère de nécessité est devenu de plus en plus marqué sous l’influence des changemens que le courant naturel de la civilisation amène : ce sont la sécurité et la liberté. Le besoin de sécurité s’est étendu à la fois dans l’espace et dans le temps, parce que les intérêts qui demandent à être protégés se sont développés graduellement sur une aire plus vaste, tout en