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La jeune femme m’enveloppa de nouveau de ses bras, cacha sa tête sur ma poitrine, et se mit à sangloter si fort qu’elle m’attendrit. Je la ramenai près du mât, lui parlant avec sévérité pour faire diversion à sa douleur.

— Je l’aime, et il ne m’aime pas, reprit-elle avec une énergie sauvage; il va se marier. Je fuis Tlacotalpam, je me défie de moi; j’ai peur que la jalousie ne me fasse commettre un crime. Je ne suis pas Poblanaise pour rien, docteur; je sais manier un couteau, et vingt fois la tentation m’est venue de balafrer le visage de celle qui va porter son nom. Il ne me le pardonnerait pas, c’est ce qui la protège. O docteur, comme mon passé me pèse!

— Eh bien ! il faut suivre les conseils que je vous ai donnés le lendemain de cette blessure qui a failli vous coûter la vie.

— N’évoquez pas ce souvenir, docteur; je vous en veux de ne m’avoir pas laissée mourir. Reprendre le droit chemin, cela serait possible, si tout le monde vous ressemblait; mais on ne remonte pas du gouffre où je suis tombée. L’homme qui m’a trompée autrefois répondra de mes fautes devant Dieu; je n’aurais jamais été qu’à lui, s’il ne m’avait abandonnée. Quand Bartoloméo m’a donné ce coup de dague dont je serais morte sans vous, il avait raison; il m’aimait, et je le trompais. — La jeune femme se couvrit le visage de ses mains. — Comme je souffre, reprit-elle au bout d’un instant, et comme le souvenir de ce Valério m’obsède ! Il m’a dédaignée, et je lui offrais d’être à lui, rien qu’à lui. Est-ce que les hommes souffrent autant de nos dédains que nous souffrons des leurs? mais oui, puisque Bartoloméo a voulu me tuer !

Elle se leva, fit quelques pas, s’appuya sur le bord du navire, et regarda deux mouettes qui tournoyaient au-dessus de la pointe des vagues et semblaient jouer avec l’écume. — J’ai du feu là, dit-elle en saisissant ma main, qu’elle posa sur sa poitrine; m’a-t-on fait boire un philtre? Je le croirais. Vous qui êtes médecin, vous devez savoir comment on s’arrache du front, du cœur, de l’esprit, une pensée importune. Il faut me soigner, je suis malade. On dit que vous n’avez jamais aimé; comment donc avez-vous fait?

— J’ai aimé et j’ai souffert comme tous les êtres animés, ma chère Lydia.

— Mais vous êtes guéri, vous n’aimez plus. Moi, je l’aimerai toujours; c’est fini, je le sens. Je hais maintenant ceux qui me trouvent belle; je voudrais mourir.

La patience avec laquelle je l’écoutai calma peu à peu Lydia, elle cessa de pleurer. L’ardente créature prétendait aimer pour la première fois, et peut-être avait-elle raison. Agée de vingt-deux ans, elle était dans toute la plénitude de sa beauté, et parmi les mé-