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comme ceux-ci sont les plus nombreux, qu’ils ont, je le répète, le droit de suffrage, ils tendraient à rejeter le fardeau sur les autres, qui pourrait les en empêcher? Ils en seront empêchés, s’ils comprennent que l’impôt sur le revenu les atteindrait également. Voici ce que dit à ce sujet un homme fort compétent, M. David A. Wells, chargé de la révision des taxes dans l’état de New-York. « Dans la ville de New-York, sur 1 million d’habitans environ, 4 pour 100 tout au plus paient les taxes directes. Or, si la théorie de la répercussion n’était pas exacte, ceux qui ne les paient pas n’auraient aucun intérêt à une administration honnête et économique de la cité, ni à la réduction des impôts. Au contraire ils auraient profit à ce que ces impôts frappant les autres fussent excessifs, à ce qu’on dépensât le plus d’argent possible, dût-il être mal employé, pour leur donner du pain et des occupations. La taxe avec la théorie de la non-répercussion devient le champ de bataille des diverses classes de la société. Celui qui possède la propriété réelle voudra qu’on impose la propriété personnelle et réciproquement, et ceux qui ne possèdent ni l’une ni l’autre demanderont qu’on les impose toutes les deux. La doctrine du philosophe Hobbes, que la guerre est l’état naturel de l’humanité, se trouve vérifiée par l’impôt. Le brigand de la Grèce devient un répartiteur équitable, et tout le système se réduit à une question d’exercice de pouvoir absolu. »

Dans beaucoup d’états en Amérique, en même temps qu’on imposait les objets de consommation, on établissait aussi une taxe sur le capital réel ou personnel, c’est-à-dire sur la propriété immobilière et mobilière. Cette taxe a été quelquefois de li pour 100. C’était excessif et presque égal au revenu que donnerait le capital chez nous; mais, comme il y a dans ce pays une grande marge pour le développement de la richesse, le revenu s’est élevé en proportion à 10 et 12 pour 100, et ce sont toujours les consommations qui ont payé l’impôt. Il en serait autrement en France et en Europe. Une taxe aussi lourde aurait pour résultat d’éloigner le capital et d’anéantir le revenu. C’est comme l’eau qu’on prendrait à la source d’un fleuve au lieu d’aller la chercher à l’embouchure; avec une faible quantité, on risquerait de tarir la source, tandis que, si on attend que le fleuve ait grandi et se soit grossi de tous ses affluens, on peut en prendre beaucoup sans produire d’effet bien sensible. Toute la théorie des impôts directs est dans cette comparaison. Il faut les ménager avec soin, car on les prélève aux sources mêmes de la production.

En proposant l’impôt sur le revenu comme supplément aux taxes actuelles et pour empêcher celles-ci d’arriver *à un taux excessif où elles ne produisent plus et encouragent la fraude, nous le voudrions très modéré, et pour cela il n’y a qu’un moyen, c’est de l’étendre le