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sible ; mais l’effet moral sera très différent et il a une grande importance : pour en juger, il suffit de voir ce qui se passe au lendemain d’une révolution, ou lorsque l’horizon politique se charge un peu trop. On a les mêmes instrumens de production que la veille, le même capital, les mêmes usines, la même habileté de main-d’œuvre, et cependant on produit beaucoup moins. Pourquoi ? Parce qu’il s’est introduit tout à coup dans la vie industrielle et commerciale un élément qui a tout modifié, c’est la défiance. On ne voit plus aussi clair dans l’avenir, on n’est plus aussi sûr qu’on pourra jouir tranquillement des fruits de son travail, et alors tout s’arrête. Un effet semblable peut se produire à l’occasion d’un impôt qui paraîtrait excessif.

Le gouvernement, par suite de nos désastres, a dû augmenter les taxes de plus de 600 millions ; il a fait peser cette augmentation en grande partie sur les revenus indirects. La répartition n’en a pas toujours été très heureuse, et on éprouvera des mécomptes. Cependant ces taxes se paient encore après tout assez facilement, le pays déploie la même activité dans ses affaires, sinon une activité plus grande pour réparer les brèches faites à sa fortune. Qui oserait soutenir qu’il n’en serait pas autrement, si on avait demandé non pas les 2 milliards et plus du budget tout entier, mais seulement les 600 millions d’augmentation à un impôt unique sur le revenu qui aurait pu être de 12 à 15 pour 100 ? Évidemment on n’aurait pas conservé la même activité industrielle, beaucoup de capitaux et beaucoup d’individus auraient émigré.


III.

On a dit que les gouvernemens avaient multiplié les taxes pour mieux les dissimuler et les augmenter plus aisément. C’est possible. Cela prouve qu’ils ont réussi à les faire moins sentir. Or les faire moins sentir, c’est ménager les forces productrices du pays. Du reste cette division des taxes a été établie partout dans les états les plus libres, comme dans ceux qui le sont le moins, et partout elle a donné d’excellens résultats. On les a multipliées encore, et on a adopté surtout celles de consommation parce que c’était le seul moyen de se rapprocher autant que possible de la proportionnalité ; mais c’est ici que revient l’objection de tout à l’heure. Si l’impôt, dit-on, frappe des objets de première nécessité, tels que le sel, les boissons, le bois de chauffage, la consommation qu’on fait de ces objets n’est pas du tout proportionnelle à la fortune. Parce qu’on a 100,000 livres de rente, on ne consommera pas cent fois plus de sel et de vin que celui qui n’a que 1,000 francs pour vivre. Il y a