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Ce qui a contribué surtout à obscurcir la matière, c’est que l’impôt a toujours été lié à la politique, et a subi des interprétations diverses suivant les régimes qui ont prévalu. Autrefois, avant la révolution de 89, lorsqu’il y avait des classes privilégiées, un des privilèges de ces classes était de ne pas payer les contributions comme tout le monde, et alors on voyait les gens les plus riches échapper à des taxes dont tout le poids retombait sur ceux qui étaient le moins en état de le supporter. Ces abus étaient crians; ils ont été abolis en 89, et on a proclamé très haut le dogme de l’égalité devant la loi et en particulier devant l’impôt; mais voici maintenant que par un autre abus l’arc, trop tendu autrefois dans un sens, se retend de nouveau à l’excès dans le sens opposé. Beaucoup de gens croient que les classes ouvrières ne sont pas suffisamment ménagées par le fisc, qu’elles ont droit à des immunités particulières parce que l’impôt doit être prélevé sur le superflu et non sur le nécessaire. Cette théorie gagne chaque jour du terrain, et bientôt, si on n’y prend grade, le principe de l’égalité inscrit dans la loi ne sera plus qu’un leurre.


I.

On peut demander d’abord à ceux qui professent cette opinion quelle idée ils se font de l’état, et comment ils envisagent les services qu’il est appelé à rendre. Nous sommes réunis en société pour obtenir la première chose dont nous ayons besoin, la sécurité, pour développer librement, grâce à elle, les facultés dont nous sommes pourvus, et en tirer tout le profit possible. Cet avantage existe pour tout le monde, pour le pauvre comme pour le riche, il n’est personne qui puisse s’en passer, et on pourrait même dire que le pauvre en a encore plus besoin que le riche, parce qu’il est moins en mesure de se protéger par lui-même; mais l’être collectif qu’on appelle état ne peut pas assurer cette protection pour rien. Il lui faut des agens, une organisation quelconque, ce qu’on appelle un gouvernement, et c’est pour subvenir aux frais qu’entraîne cette organisation qu’on lui paie des impôts; ils sont le prix d’un service. A quel titre donc y aurait-il dans la société des individus qui seraient dispensés d’y prendre part? Si je vais chez un marchand chercher un mètre d’étoffe, il ne me le donnera pas pour rien sous prétexte que cela me gênerait fort de le payer; il me le vendra comme à tout le monde au prix de revient, augmenté du bénéfice qu’il doit faire. Pourquoi en serait-il autrement pour l’état? Celui-ci, considéré au point de vue économique, est aussi un marchand qui vend des services, il doit les vendre au meilleur marché