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raguayens les excès de la triple dictature dont ils ont été depuis le commencement du siècle les innocentes victimes serait une chose inique. Le peuple, fanatisé par l’oppression, a été le martyr de l’obéissance, de la discipline, du dévoûment. Il ne s’est arrêté dans la lutte que brisé, anéanti par la fatigue et la douleur. Ses vainqueurs ne lui refuseront pas leur pitié. Puisse une politique inspirée par l’humanité, par le christianisme, sauver d’une ruine complète cette race indienne persécutée depuis des siècles, et qui a droit à la compassion, parce qu’elle a beaucoup souffert ! Espérons, pour l’honneur de la civilisation moderne, que toute une race ne sera pas condamnée à périr, et qu’après de si cruelles épreuves le Paraguay verra luire des jours moins sinistres. Ce serait pour les vainqueurs de Lopez un titre de gloire que d’apparaître en libérateurs et en amis du pays vaincu, que d’apporter au Paraguay la paix féconde, la paix durable qui seule peut le faire sortir de l’abîme où les horreurs de la guerre l’ont précipité.

Spécialement occupée depuis quelques années des questions qui se rattachent aux progrès de l’économie politique, la confédération argentine doit aussi désirer la paix. Le président de la république, M. Sarmiento, esprit libéral et réformateur, voudrait voir fleurir sur les bords de la Plata une prospérité analogue à celle de New-York et des autres grandes villes de l’Union américaine. Activer la colonisation, multiplier les grands travaux d’utilité publique, faire envahir la zone pastorale par la zone agricole, préserver le pays des invasions indiennes, réconcilier les races diverses par l’industrie et le commerce, procéder à un échange incessant d’idées et de transactions avec l’Europe, telle est la politique adoptée par M. Sarmiento. Divers obstacles en entravèrent momentanément l’application. Au mois de mars 1871, la fièvre jaune fit de tels ravages que 80,000 personnes durent quitter Buenos-Ayres. La bourse, la banque, les théâtres, se fermèrent[1], et le fléau prit des proportions terribles. Cependant l’épidémie disparut au bout de trois mois, et le pays retrouva promptement son activité habituelle. Il avait eu également à lutter contre un autre mal; nous voulons parler de l’insurrection de l’Entre-Rios. Le 11 avril 1870, le célèbre général Urquiza, le vainqueur de Rosas, qui jouissait dans l’Entre-Rios d’une position princière et toute personnelle, solidement appuyée sur d’anciens triomphes militaires et sur d’immenses possessions territoriales,

  1. Le chargé d’affaires de France et sa femme, la comtesse Amelot de Chaillou, ont témoigné dans cette circonstance le plus courageux dévoûment. Plusieurs jeunes orphelines sont mortes dans la chambre même de Mme Amelot, qui les avait recueillies. Il faut citer aussi avec éloge la conduite de l’attaché, M. Martin du Nord, et des deux médecins de la légation, les docteurs Quinche et Dubreuil.