Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seront le signal d’une complète suppression. Le 12 septembre 1869, le comte d’Eu, terminant la campagne contre Lopez, signalait, dans une lettre adressée au gouvernement provisoire établi à l’Assomption, le triste sort des esclaves paraguayens. Le gouvernement du Paraguay répondit à cette lettre le 2 octobre suivant par un décret qui prononçait l’abolition immédiate de l’esclavage sur tout le territoire de la république. Le Brésil lui-même ne deva.t point tarder à s’engager dans la voie qu’il avait indiquée ainsi au Paraguay. Depuis une vingtaine d’années, l’émancipation était réclamée par le parti libéral, qui en avait fait sa plate-forme. Le parti conservateur au pouvoir n’hésita plus devant une réforme qui était décidément le vœu de l’opinion publique, et dont l’empereur désirait ardemment la réalisation.

Au point de vue de l’exécution matérielle de la réforme, les difficultés n’étaient plus les mêmes en 1871 que quelques années auparavant. En 1852, le nombre des esclaves s’élevait à environ 3 millions contre une population libre de 4 ou 5 millions au plus, et peut-être alors eût-il été dangereux de risquer un soulèvement servile. En 1871, la population esclave n’allait pas à plus de 1,500,000 âmes, et la population libre était évaluée à 8 ou 10 millions. Cependant il ne s’agissait pas d’une abolition immédiate, comme celle qui eut lieu en Angleterre, en France, aux États-Unis; on ne songeait encore qu’à un adoucissement graduel, car il fallait ménager les droits de la propriété et les intérêts de l’agriculture, qui est la première richesse du pays. Au mois de mai 1871, le ministre de l’agriculture présentait à la chambre un projet de loi qui contenait un ensemble de dispositions pour arriver à l’extinction graduelle de l’esclavage[1]. Liberté du ventre avec indemnité aux maîtres pour les soins donnés aux enfans jusqu’à l’âge de huit ans, — création d’un fonds d’émancipation qui chaque année libérera un certain nombre d’esclaves, — droit pour l’esclave de se créer un pécule en travaillant aux heures qu’il ne doit pas à son maître, et de se servir de ce pécule pour payer sa liberté, — tels étaient les points essentiels du projet.

L’esprit de routine ne manquait pas de soulever des objections. « Vous perdez le pays, disaient les hommes arriérés. Le nègre, qui est élevé dans une ignorance bestiale, ne consentira jamais à travailler. Voyant leur enfant libre, le père et la mère esclaves sentiront beaucoup plus fortement l’injustice de leur situation. Dans un pays de l’étendue du Brésil, sans voies de communication, couvert de forêts, montagneux, dont les arbres portent des fruits sauvages

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1871.