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un seul bâtiment de plus, je suis à l’instant immolé. De misérables Juifs ont mis dans l’esprit de la populace des soupçons extravagans. Il n’est pas en mon pouvoir d’éclairer ce peuple abusé ; le tenter seulement serait m’exposer à toutes ses fureurs. »

Le 8 juillet, le consul de France s’était de nouveau rendu chez le pacha. Les gabares la Nantaise, la Lamproie, la Chevrette et la Truite, la flûte le Golo, la goélette l’Estafette, la corvette de charge la Bonite, la frégate la Jeanne d’Arc, commandée par M. le vicomte de La Mellerie, s’étaient vu successivement refuser l’entrée de la rade. M. David insistait pour qu’on levât enfin cette interdiction. « Que voulez-vous ? lui disait avec une apparente bonhomie l’artificieux pacha de Césarée, on se souvient encore à Smyrne de l’expédition d’Egypte. » L’ambassade de France à Constantinople avait été avertie de ces difficultés. M. le vicomte de Viella, qui remplissait les fonctions de chargé d’affaires depuis le départ de M. le marquis de Rivière, rappelé en France au mois d’octobre 1820, s’était mis immédiatement en campagne. Un firman de la Porte avait prescrit au pacha « de veiller soigneusement à la sûreté des Francs. » L’ambassadeur d’Angleterre obtenait pour le même objet une lettre du grand-mufti. Le pacha restait sourd à toutes ces démarches. Pour lui, il n’y avait qu’un moyen de protéger les Francs : c’était de contenter les Turcs. Voulait-on voir se renouveler les scènes déplorables qui avaient jeté le trouble et le deuil dans Smyrne, on n’avait qu’à donner l’ordre aux navires français de forcer l’entrée de la rade.

Pendant que le consul et le pacha discutaient ainsi avec véhémence, deux lettres arrivèrent au palais, venant toutes deux du château de mer. L’une, confiée à un reis algérien, avait été écrite par le disdar (commandant du château) et était adressée au pacha ; l’autre avait été apportée au consul par un officier de la Jeanne d’Arc. Les deux messagers furent introduits en même temps et s’expliquèrent avec une égale chaleur. L’affaire qui les amenait à Smyrne était des plus graves. Jamais il ne s’en présenta où les droits imprescriptibles de l’humanité eussent plus de peine à se mettre d’accord avec les exigences du droit des gens. Voici en quelques mots de quel incident il s’agissait. Un bâtiment sarde, commandé par un capitaine esclavon, le capitaine Zibilich, avait été mouiller à l’embouchure de l’Hermus. Là, pendant plusieurs jours, il avait embarqué à son bord des raïas fugitifs. C’était une spéculation interdite sous les peines les plus sévères à tous les navires de commerce. Aux termes de la convention diplomatique conclue à Constantinople, le bâtiment qui s’y livrait ne s’exposait à rien moins qu’à être séquestré. Découvert à son mouillage suspect par