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saient-ils, « offrir ce sacrifice à Dieu dès les premiers jours du ramazan. » Pour la première fois aux menaces de meurtre, les Turcs joignaient des menaces d’incendie. L’incendie est un mal endémique dans les pays ottomans. Les familles européennes demandèrent à grands cris à s’embarquer. M. David prévint le pacha de Césarée qu’il allait faire approcher du rivage les bâtimens du roi. « Je connais les désordres dont vous vous plaignez, répondit tranquillement le vizir ; j’en ai puni les auteurs par les marques de mon indignation. Allez, leur ai-je dit, vous n’êtes pas de vrais janissaires ! Je ne reconnais pour tels que ceux qui respectent les ordres du sultan et l’autorité de ses vizirs. Je les ai ainsi congédiés, et déjà ils me font demander leur pardon. Les désordres n’iront pas plus loin. L’édifice était ébranlé, mais j’en ai sondé les fondemens. Soyez tranquille, la maison ne s’écroulera pas. »

Dans les premiers jours du mois de juin, tout avait en effet repris l’aspect de la tranquillité ; mais personne ne se fiait à ce calme apparent. On savait trop bien à Smyrne que « le peuple turc est un peuple silencieux et dissimulé, qui prépare de loin ses projets et qui y persévère. » Le départ d’un bâtiment grec naviguant sous pavillon russe servit de prétexte aux perturbateurs, et vint tout remettre en question.

Un château-fort dont le mur extérieur a le pied dans la mer commande l’étroite entrée du golfe de Smyrne. La garnison de ce château s’était mutinée. Le pacha envoya le commandant de sa cavalerie, le delhi-bachi, pour la faire rentrer dans le devoir. Elle déclara qu’elle ne se soumettrait pas, et qu’elle entendait ne s’en remettre qu’à elle-même du soin d’empêcher les chrétiens d’envoyer des vivres, des munitions et des renforts aux rebelles. Elle le dit, et elle tint parole. Quand le navire russe voulut sortir du golfe, le canon du château le contraignit de retourner en rade. Le bruit se répandit sur-le-champ dans Smyrne que sans cet acte de vigueur 150 raïas, embarqués sur le bâtiment suspect, auraient été se joindre aux insurgés de la Morée. En moins d’une heure tous les janissaires furent sur pied. Ils accusaient le mollah (le grand-juge), le naïb (son lieutenant), le bach-ayan (le maire), le grand-douanier lui-même, de s’être laissé corrompre et d’avoir favorisé le départ des giaours. Peu satisfaite des explications qui lui furent données, le 16 juin la soldatesque mit le mollah en pièces. Elle immola du même coup le naïb et le bach-ayan ; quant au chef de la douane, parvint à s’échapper.

Ces meurtres eurent leur effet ordinaire ; loin d’assouvir la rage des émeutiers, ils la portèrent à son comble. Ivres de sang, ces furieux se présentèrent devant le consulat de France. Près de deux mille individus s’y étaient réfugiés. Le kavas du consulat osa s’op-