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dit-on, — et ne laissent acheter par personne, quittes à partager le préjudice entre eux. Un lundi matin vers dix heures, on met en vente des casseroles, des poêlons, des chenets; celui qui «donne» à ce moment-là, qui est maître du marché, c’est l’Auverpin, c’est-à-dire l’Auvergnat, étameur et chaudronnier. Le cuivre est épuisé, on apporte un lot de livres, le Coutançais passe au premier rang, car il a quelque part dans un passage, sur les quais, dans le quartier des écoles, un étalage pour les bouquins. Les livres ne durent pas longtemps, on jette quelques paquets; des femmes de marchands d’habits s’avancent alors, et de leurs gros doigts bouffis, chargés de bagues prétentieuses, manient les draps, les défroques de toute espèce, les nippes de toute sorte avec une dextérité sans pareille. S’il se trouve quelque instrument de musique, la grande plaisanterie consiste à l’essayer, et si l’on peut tirer un couac d’une clarinette, tout le monde éclate de rire. Le tour des matelas arrive, on les découd, on tâte, on flaire la laine. Il y a un mot que j’hésite à dire, mais il fait image, et mérite, malgré sa brutalité, de n’être point passé sous silence; dans le langage de ce monde-là, vendre des matelas se dit balancer la punaise.

Les diamans, les montres, l’argenterie, le plaqué, atteignent de hauts prix; d’autres objets sont absolument dédaignas; j’ai vu vendre des planches de musique gravées, à peine pour la valeur de l’étain. Les vêtemens, qui sont très nombreux, n’ont point du tout l’aspect misérable auquel on pourrait s’attendre ; ils gardent au contraire quelques restes d’élégance et de finesse, comme s’ils avaient été engagés par un étudiant, par une fille en quête d’argent pour aller au bal. En somme, la diversité extraordinaire des articles qui passent sous les yeux donne bien plutôt l’idée d’une gêne momentanée que celle d’une vraie misère; je crois que l’on commet une grosse erreur en assimilant le mont-de-piété aux institutions de bienfaisance; toutes les ventes auxquelles j’ai assisté m’ont laissé la même impression.

Les commissaires-priseurs, sous leur responsabilité, accordent un certain crédit à leur clientèle; ils reçoivent un à-compte qui ne peut jamais être inférieur à 5 francs, et mettent alors le marchand en « débet, » c’est-à-dire qu’ils gardent en nantissement de la somme impayée l’objet vendu, jusqu’à ce que le bordereau soit complètement acquitté. Ce sont là des conventions particulières dont l’administration ne s’occupe même pas. Beaucoup de bonis ne sont jamais réclamés et tombent momentanément dans la caisse du mont-de-piété pour passer ensuite dans celle de l’assistance publique. En 1869, on a vendu 162,254 objets, et l’on a payé 91,426 bonis, c’est-à-dire une moyenne de 56 pour 100.

Telles sont les opérations du mont-de-piété; elles sont, comme