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je n’ose les exposer ici avant d’avoir pris des informations particulières qui m’autorisent à les garantir. On parle de quarante tonnes remplies de montres d’or pour exprimer sans doute la quantité prodigieuse qu’on y en a porté. » En outre je lis dans la Correspondance secrète, 1778 : « Le mont-de-piété a beaucoup de succès; on y prête sur des effets mobiliers comme sur des lettres de change, et les chalands abondent. Cet établissement nuit beaucoup à de fort honnêtes gens qui faisaient le commerce ou le métier de prêter sur gage. » En dehors de ces témoignages, on possède des documens administratifs qui, en donnant des chiffres exacts, prouvent avec quel empressement on avait accueilli la création de ce qu’on appelait volontiers le Lombard royal. Au 31 décembre 1778, les opérations se chiffraient ainsi : engagemens, 128,508 objets, 8,509,384 livres; dégagemens, 60,551 objets, 3,179,523 livres; stock en magasin, 67,957 objets représentant une valeur de 5,129,861 livres. C’est fort considérable pour une année de début, et les usuriers ne riaient pas; cependant la révolution avançait à grands pas, ils n’allaient pas tarder à prendre leur revanche.

Le bureau de l’hôpital-général avait fourni les premiers fonds nécessaires aux opérations légales du prêt sur nantissement; mais toutes les prévisions furent bientôt dépassées. On se trouva sans argent, et des lettres royales du 7 août 1778 autorisent le mont-de-piété à emprunter à millions de livres dont il avait absolument besoin pour satisfaire à ses obligations. C’est à ce moment que par la force même des choses naît un abus qui s’est perpétué jusqu’à nos jours, quoique la raison le condamne, et que la loi lui soit contraire. Dans une ville aussi grande que Paris, où les distances à parcourir sont énormes, un seul bureau de mont-de-piété, si vaste, si bien aménagé qu’il fût, était insuffisant. Les lettres patentes de création avaient prévu la difficulté, car l’article 3 dit: « Permettons aux administrateurs d’établir aussi, s’ils le jugent nécessaire, dans notre bonne ville de Paris, sous la dénomination de prêt auxiliaire, différens bureaux dudit mont-de-piété, ou caisses d’emprunt de sommes depuis 3 livres jusqu’à la concurrence de 50 livres. » Ce n’est pas tout d’être autorisé à installer des bureaux auxiliaires et des succursales, il faut en avoir les moyens : il faut louer des locaux, rémunérer le personnel des employés, établir des magasins, alimenter les caisses. C’étaient là de grosses dépenses auxquelles le mont-de-piété naissant n’était pas en état de subvenir. Il eut donc à subir une ingérence étrangère, et admit ce qu’on pourrait appeler le prêt par procuration. Beaucoup de gens, n’ayant pas le temps d’aller jusqu’au mont-de-piété, s’adressèrent à d’anciens usuriers qui se chargeaient de faire les engagemens moyen-