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gleterre ; jamais roi n’a été plus absolu, plus jaloux de son pouvoir personnel ; il a fait la guerre toutes les lois qu’il a espéré d’y gagner quelque chose, il a conquis la Silésie, et il se proposait de conquérir la Bohême pour la troquer contre la Saxe, bien qu’il eût appelé les conquérans des « voleurs illustres. » Il a manqué de parole dès qu’il y avait quelque intérêt ; il a le premier conçu le plan du partage de la Pologne, et il a été le seul à l’exécuter sans scrupules. Si Macaulay sait bien compter, il a trahi quatre fois ses alliés dans l’affaire de la Silésie, et il a essayé plusieurs fois de le faire dans la guerre de sept ans. Est-ce une profonde hypocrisie que nous reprochons à l’auteur de l’Anti-Machiavel ? En aucune façon. Frédéric s’est moqué de ses lecteurs comme de son siècle : c’est un comédien achevé. Nous n’en voulons qu’une preuve. Le prince de Fénelon le jette dans l’admiration, il porte aux nues les préceptes du Télémaque, n’a-t-il pas le courage de parler de l’amour de Dieu qu’il oppose à la doctrine de l’intérêt ? En vérité, cela touche à la bouffonnerie, et Voltaire a eu le bon goût de retrancher ce dernier passage, que M. Trendelenburg a la bonhomie de rétablir, car son étude sur L’Anti-Machiavel a pour objet de revenir au texte primitif comme plus moral, plus vertueux, plus digne de Frédéric. Nous sommes de son avis, ce texte est plus conforme au caractère de ce roi, parce qu’il est plus comique.

Si par hasard on était tenté d’attribuer ces beaux sentimens de générosité, de vertu, à la jeunesse de Frédéric, si l’on se refusait à penser qu’il y eût tant d’audace, nous n’osons pas dire d’effronterie, dans un homme de vingt-sept ans, nous renverrions les sceptiques à l’équivoque plaisanterie qu’il se permet sur les mœurs de Machiavel, et que Voltaire avait supprimée avec soin. Parce que le secrétaire florentin ne permet pas au prince l’amour des femmes, il le tient pour suspect et s’en amuse. Que penser de ce trait dans une telle bouche ? Il est avéré qu’il ne vit la reine et ne lui parla que le jour de son mariage, qu’il fut un parfait misogyne. À cette qualité scabreuse, les plaisanteries perpétuelles et peu voilées de Voltaire et de Frédéric servent de commentaire et mettent un couronnement qui ne laisse rien à désirer. Une certaine page bien connue de la vie du loi par son ami le philosophe est trop positive pour laisser lieu à des doutes. Mirabeau vient par là-dessus avec ses témoignages formels sur le roi, sur son frère, sur ses parens ; toute la famille se ressemble à cet égard, et Mirabeau n’était ni prude ni fort sévère sur la différence des goûts. Qu’on nous cite César tant qu’on voudra, qu’on nous dise que les désordres les plus honteux peuvent se trouver dans le plus grand homme d’état, nous y consentons ; tout ce que nous voulons montrer, c’est que l’auteur