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spontanée trois fois extraordinaire qu’on vit en 1789. Elle s’est allumée sur le monde entier, graduellement ou par explosion, cette éruption inattendue de toutes les divinités infernales qui étaient enchaînées jusque-là comme beaucoup d’autres fléaux, ce vaste incendie des anarchies rugissantes, sous lesquelles les pauvres générations présentes sont destinées à vivre pour je ne sais pas combien de siècles encore. — Cours à la combustion, mon aimable enfant! — avaient dit les destinées à cette belle France, si fort possédée du besoin de briller, d’effacer les autres, — à la combustion allumée de tes mains! C’est par ici! Ne seras-tu pas bien aise de briller comme nul ne l’a jamais fait? Brille donc, France, jusqu’à ce que tu deviennes un caput mortuum, aimable enfant! »


Telles sont les conclusions que l’historien tire de la guerre de sept ans, avec renfort de figures de rhétorique et de lettres majuscules. Il voit de loin les choses : son héros n’avait pas le regard si perçant, lui qui ne prévoyait pas la révolution. Il se contentait, le simple homme d’état, d’apercevoir la Silésie comme résultat très assuré de la guerre, et d’entrevoir peut-être la Prusse occidentale, que le partage de la Pologne allait lui faire tomber entre les mains. Et puisque M. Carlyle est si bon prophète après coup, s’il a vu si clairement l’incendie révolutionnaire, comment n’a-t-il pas distingué à travers ce feu et cette fumée Iéna et Tilsitt, qui se levaient au loin sur l’horizon? Ils n’ont pas duré, il est vrai; mais quels sont les Iéna et surtout les Tilsitt qui durent toujours?

A la rigueur, nous pourrions prendre les jugemens de M. Carlyle pour des conseils très durs, et tâcher de nous persuader qu’il ne veut pas la mort du pécheur; mais il a des pages qui ne permettent même pas cette illusion. Que dire en effet de ses griefs contre les armées françaises? Il n’y a pas de guerres plus funestes, on le sait, que celles qu’on vient de subir, ni d’ennemi plus intraitable que celui qui vous a fait souffrir : on dirait que M. Carlyle a eu sa maison brûlée, son foyer insulté par les soldats français du temps de Louis XV. Il recueille toutes les historiettes, vraies ou fausses, des journaux du temps; il ajoute peut-être aux plaintes des intéressés pour noircir notre nation, plus capricieuse que méchante. Il amasse des trésors de haine contre nous, comme si de l’autre côté du Rhin l’œuvre de colère n’était pas déjà faite, comme si les revanches prises de part et d’autre n’étaient pas égales depuis longtemps, comme si la Prusse avait besoin d’excitations étrangères, comme si nous étions responsables de tout le mal qui se faisait en Allemagne et dont les Allemands avaient leur bonne part! Il faut une rancune de bien vieille date, il faut un malheureux goût pour entasser de méchans propos d’il y a cent ans et pour terminer cette kyrielle de