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est inévitable, c’est moi qui vous le dis. C’est là que vous marchez. Bonjour, messieurs! Espérons encore qu’il n’en sera pas ainsi! »


Le vœu de M. Carlyle n’est pas cordial ; un sage avis n’en est pas moins toujours bon à recueillir. On pourrait demander à l’auteur s’il ne fait pas une erreur de date, et si de telles tirades ne lui sont pas inspirées par la récente guerre d’Italie ou par celle du Mexique plutôt que par celles de Silésie et de la succession d’Autriche. Sans doute ce titre ridicule de première nation du monde a été inventé pour la perte de la France; mais on pourrait penser aussi que cette demi-page était plutôt faite pour un journal de 1859 ou de 1863 que pour une histoire un peu sérieuse. Enfin M. Carlyle ne s’aperçoit pas que le poids de son indignation vertueuse tombe encore plus lourdement sur Frédéric, dont la France dans cette guerre n’était que la complice, et que l’ambition de celui-ci, pour avoir été plus positive et mieux récompensée, n’en est pas plus honnête. Toutefois laissons de côté les excuses. Oui, la France a été folle, elle a été coupable, si l’on veut, d’obéir à des maîtres insensés qui se croyaient appelés à étonner le monde. Oui, c’est la destinée des états qui ont fait de grandes choses de tomber quelquefois en des mains téméraires qui veulent à leur tour se signaler et qui les mènent à leur perte. Les ministres de Louis XV ont eu des ambitions au-dessus de leurs forces et de leur intelligence; ils voulaient faire de la politique de Louis XIV. Nous avons vu se renouveler les mêmes folies : on a tranché du Napoléon; mais les téméraires périssent, les nations ne meurent pas quand elles savent recevoir les conseils.

La guerre de sept ans n’est pas une occasion moins heureuse pour la veine de l’auteur; à propos du traité de Paris, il prend ainsi congé de l’Allemagne et de la France :


« Il paraît que la noble vieille Allemagne, avec sa piété, sa vaillance invincible et silencieuse, ses trésors de prospérités humaines et divines, ne sera pas coupée en quatre et obligée de danser sur les airs de Versailles ou de toute autre puissance. C’est le contraire qui arrive. Le jugement final de Versailles, que Versailles sache ou non le lire, a été écrit sur le mur. « Tu as été pesé dans la balance et trouvé au-dessous du poids. » Le voilà donc condamné enfin! La France battue, déshabillée, humiliée, pécheresse non repentie, gouvernée par des hommes perdus, tout au plus des fous spirituels, la France s’écroule comme un corps que ses membres trahissent; elle tombe dans une sorte de banqueroute silencieuse, dans une fermentation sans nom, dans la pourriture. Et quelle sera la fin? Nul ne la devine : ce sera cette conflagration