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vert, c’est dans ses détails et ses recoins qu’on la doit saisir pour l’apprécier à sa valeur.

A l’une des premières représentations, nous avions à côté de nous un amateur délicat, passé maître en fait d’élégances, qui ne se lassait pas d’admirer tant de savoir-faire. « Ces jeunes gens, disait-il, commencent aujourd’hui comme finissaient Auber, Hérold et Boïeldieu !» Qu’est-ce que cela prouve? Que nous sommes plus forts en thème, voilà tout. La technique n’a plus de secret pour personne, tous les procédés de métier sont divulgués; pas un peintre, un musicien qui n’ait de la main, pas un rimeur qui ne s’entende mieux que Lamartine à trousser une strophe.

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème,


chantait jadis Boileau dans un vers aussi peu applicable aux poètes de notre temps que le serait aux musiciens ce vers de Regnard :

Une fugue en musique est un morceau bien fort!


Fugues et sonnets sont le pont aux ânes; ce qui fut pour nos pères un casse-tête nous est devenu, par le mouvement des esprits et la diffusion des méthodes, un joyeux et charmant badinage. « On travaille aujourd’hui d’un air miraculeux! » Molière a dit le mot, car c’est bien en effet de travail qu’il s’agit et non d’inspiration. Tandis que les poètes affinent des rhythmes, entre-croisent des féminines et puérilement caressent des assonances, les jeunes musiciens n’étudient que les questions de forme, cherchent l’avenir de la musique dans son passé, et, lorsque par-delà la symphonie à quatre et cinq parties de Robert Schumann, la symphonie-cantate de Mendelssohn, par-delà la neuvième symphonie de Beethoven, par-delà Mozart et Haydn, ils ont découvert Bach, les voilà tout triomphans qui nous rapportent leurs suites comme s’il s’agissait d’une vraie trouvaille. On remonté à son origine, et cela s’appelle progresser, — éternelle histoire du serpent qui se mord la queue! Otez de l’opéra les airs, les duos, tout ce qui constitue la forme contre laquelle s’insurge si bruyamment tout ce radicalisme musical, que vous restera-t-il? Le récitatif, c’est-à-dire ce qui fut l’art à son enfance.

Franchement, toutes ces recherches d’école, toutes ces curiosités appartiennent-elles bien à la jeunesse? Les anciens n’y mettaient point tant de malice. Ni l’auteur de Joconde, ni Boïeldieu, ni Hérold, n’en savaient si long à leurs débuta; était-ce un grand mal? Beaucoup d’âme vaut mieux que beaucoup de savoir-faire, et telle partition de jeunesse, Ma Tante Aurore ou le Nouveau Seigneur par exemple, vous dénonce tout de suite une vocation bien autrement que tout ce bric-à-brac poly-