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seule en produit, et du diable si les circonstances, quelles qu’elles soient, nous feront changer une lettre à nos programmes ! A quoi servirait-il d’être des esprits forts et libres de toute espèce de préjugés pour reculer ainsi devant un nom, sous prétexte que ce nom, déjà gros et tout gonflé de la musique de l’avenir, représente en même temps les plus acres et les plus venimeux ressentimens d’une certaine fraction de l’Allemagne contre notre pays? Demain il prendrait fantaisie au directeur de l’Opéra de monter Lohengrin ou les Maîtres chanteurs de Nuremberg que dans ce groupe dont nous parlons personne n’y trouverait à redire. La chose au contraire plairait beaucoup, on vanterait l’intelligent directeur de sa courageuse initiative, faite pour inaugurer une ère d’harmonie universelle. On s’évertuerait à travailler l’opinion, à célébrer d’avance l’œuvre phénoménale destinée à montrer à notre prétendue école française comment on écrit le vrai drame lyrique, et ce mouvement se prolongerait jusqu’au jour où le public, — ce tout-le-monde qui a plus d’esprit, de bon sens et de patriotisme que Voltaire, — viendrait, par ses protestations et ses huées, mettre fin au scandale et faire en grand cet acte de justice et de réparation que l’orchestre des concerts populaires faisait naguère aux applaudissemens de tous les honnêtes gens.

Ce n’est point l’administration actuelle de l’Opéra que nous soupçonnerions de jamais vouloir courir telle aventure; de ce côté du moins, nous voilà pleinement rassurés. En somme, nous ne formions qu’un vœu très naturel, et notre discussion se bornait à ceci : obtenir que sur une scène si noblement dotée par la France les compositeurs français eussent le premier pas. Nous ne demandions rien davantage, et triomphons aujourd’hui d’apprendre qu’une fois par hasard la cause juste ait réussi. A dater de l’heure présente, la perspective se dessine, il devient clair qu’on va sortir enfin de cette longue période de confusion et de tâtonnemens : un plan se montre. Dans quelques jours, le Roi de Thulé prendra la scène, et dans quelques mois Jeanne d’Arc sera mise à l’étude pour être représentée vers octobre prochain. Découvrir, encourager, produire les talens nouveaux, un directeur de l’Opéra ne saurait désormais avoir d’autre tâche; disons mieux, en dehors de ce programme, sur quoi spéculerait-on? Les étoiles? On n’y peut atteindre, la misère des temps s’y oppose, et c’est bien le moindre de nos regrets. Les reprises? L’ancienne administration a systématiquement tiré de ce moyen tout ce qu’il pouvait rendre. Il se trouve donc que l’unique voie où l’on puisse marcher est la droite.

Cela ne nous avancerait à rien de continuer à répéter sur tous les tons qu’il n’y a plus au théâtre un seul homme de génie. Rossini et Meyerbeer sont morts, Auber est allé les rejoindre, et l’inconvenante mercuriale dont un ministre de l’instruction publique a cru devoir accompagner son ombre, tout en offensant le goût des gens bien élevés,