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en revanche se souviennent toujours. J’en suis fâché pour le vertueux d’Aguesseau, mais son langage en cette circonstance ne différa pas bien essentiellement de celui que tiendront quatre-vingts ans plus tard les théoriciens du jacobinisme. Je ne sais si Alexis de Tocqueville a connu ou s’est rappelé le fait, mais il mérite de faire partie de l’habile dossier que le subtil auteur a dressé contre l’ancienne monarchie comme complice par anticipation des théories révolutionnaires. Les caisses, paraît-il, ne furent même jamais ouvertes; quant à ce qui est advenu des pièces qu’elles contenaient, on ne donne aucune réponse satisfaisante. Tout ce qui reste de ce mausolée, ce sont les deux figures du duc de Bouillon et de sa femme, une tour crénelée et une figure d’ange s’envolant du pied de cette tour et portant entre ses bras un vase fumant. La tour fait aujourd’hui partie du musée de Cluny; l’ange l’a quittée pour aller désormais prendre son vol au-dessus de l’autel de la chapelle de l’hôpital, et les deux statues du duc et de la duchesse de Bouillon décorent les deux côtés de l’entrée de cette même chapelle.

Ce sont deux belles figures dont il faut admirer le travail, mais dont l’originalité nous paraît contestable, et qui laissent assez froid, gêné qu’on est par le souvenir d’autres monumens de cette même époque. A coup sûr, on serait plus disposé à les louer, si l’on n’avait pas vu les figures du tombeau de Montmorency à Moulins, qu’elles rappellent d’une manière frappante. Cette imitation d’ailleurs ne se bornait pas aux figures, elle s’étendait au monument tout entier, car le plan que nous venons d’en donner reproduit en les agrandissant d’une manière démesurée les dispositions principales du mausolée déjà si colossal élevé par la princesse des Ursins à la mémoire de son mari. Cependant, si ces figures font souvenir pour le travail et l’art des figures du tombeau de Moulins, elles en diffèrent essentiellement par l’expression. Le piquant et la nouveauté de ces sculptures pour le curieux est dans l’histoire qu’elles racontent, histoire certes bien différente du roman pathétique et passionné de la princesse des Ursins, mais qui a cependant son intérêt. Le duc de Bouillon est étendu à terre, le buste relevé, à peu près dans l’attitude de Henri de Montmorency; sa physionomie est pensive, un peu soucieuse; il paraît absorbé dans une sorte de rêveuse incertitude. En face de lui, la duchesse, assise dans une pose pleine d’élégance, lui montre du doigt quelques lignes écrites dans un livre que soutient un petit ange nu; mais que sa physionomie est différente de celle de son époux! Une gaîté radieuse, qui n’est pas exemple d’une sorte de malice espiègle, brille sur son visage; on dirait qu’elle a surpris son mari en flagrant délit d’erreur, et qu’elle s’amuse à le confondre par un texte sans réplique. Le secret