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à la conclusion sanglante, est celui de deux entêtemens aux prises, la lutte de deux montagnards de régions diverses, d’un Morvandiau contre un Auvergnat. Chacun des deux adversaires peut être pris comme une représentation parfaite de la race dont il est sorti; mais des deux le plus remarquable est l’abbé Pons. Contemplé dans la chronique d’Hugues de Poitiers, Pons m’apparaît comme un homme politique de premier ordre, s’il est vrai que c’est le caractère encore plus que l’intelligence qui fait l’homme politique. Rarement on vit employer avec plus d’habileté cette force redoutable qui s’appelle l’inertie. Portant dans son obstination autant de calme que Guillaume de Nevers porte de violence dans la sienne, Pons se contente d’opposer à tous les orages une résolution passive et pour ainsi dire une énergie d’indifférence. Lui parle-t-on de guerre, il déclare qu’il n’y pense pas, et laisse à ses adversaires le tort de l’agression, en sorte que, lorsqu’il est exhorté à entrer en composition, il peut répondre : Ce n’est pas moi qui fais la guerre, c’est à moi qu’on la fait ; c’est donc au comte de Nevers et non pas à moi qu’il faut vous adresser. Lui parle-t-on de paix, il ne demande pas mieux; eh bien! en ce cas, que chacun rentre chez soi et que les choses soient comme devant. Rien n’est curieux comme son attitude devant certaine députation des habitans révoltés de Vézelay qui venait le presser d’entrer en accommodement avec son adversaire et de consentir à l’établissement de leur commune : il répond qu’il n’a pas à entrer en accommodement, puisqu’il n’a cherché aucune querelle, et que, quant à eux, s’ils veulent bien garder la paix, il continuera de protéger leur liberté, c’est-à-dire qu’il continuera de se conduire comme par le passé. À cette impassibilité, Pons semble avoir joint le don de l’ironie, qui est en politique une arme décisive, lorsque, perçant sous la conduite apparente jusqu’aux mobiles secrets de l’âme, elle fait apparaître en toute évidence la mauvaise foi de l’adversaire. Après avoir fait condamner le comte de Nevers et l’avoir forcé de souscrire à une clause honteuse qui lui enjoignait d’arrêter et de punir les hommes de Vézelay qu’il avait lui-même soulevés, Pons rentra dans son abbaye, et là il attendit que Guillaume exécutât ses engagemens, au sein d’une paix d’autant plus profonde que Vézelay était vide de population mâle, les habitans s’étant tous enfuis sur l’avis secret du condamné. Enfin après plusieurs jours d’attente arrivèrent quatre hommes d’armes qui, se présentant devant l’abbé, lui dirent qu’ils étaient venus pour exécuter l’indigne clause, mais qu’ils n’avaient trouvé que des femmes et des enfans. Là-dessus Pons eut un très joli mot : « ah vraiment! ainsi donc vous étiez venus quatre pour en arrêter plusieurs milliers? » La querelle finit sur ce mot, Guillaume se trouvant forcé sinon de remplir les engagemens qui le constituaient