Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de puissantes machines à vapeur mettent en mouvement; en Russie, ce travail se fait à bras d’hommes. Cependant une transformation remarquable s’opère dans cette région, jadis redoutée, où les géographes tracent les limites de l’Europe et de l’Asie. Si la Sibérie est encore un lieu d’exil, ce n’est plus un désert inhabitable. L’industrie humaine y prend pied. Il y a des gens qui s’y rendent de leur plein gré avec l’ambition d’y faire fortune. Il n’y manque plus que des routes et des chemins de fer.

Avant de passer à l’agriculture, il convient de parler du climat, qui est, on le sait, un élément essentiel de la végétation. Par son étendue, l’empire russe offre d’une extrémité à l’autre des différences de climat prodigieuses. Tout au nord, il va jusqu’au cercle polaire, où le soleil reste en été vingt-quatre heures à l’horizon; au midi, il atteint en Crimée la latitude de Venise et de Bordeaux. Un caractère commun cependant à cette immense surface est une différence considérable entre la température de l’hiver et celle de l’été; il y a tout au plus exception pour le littoral de la mer Baltique. Le doux climat de l’Irlande ou de notre Bretagne est inconnu sur ce vaste plateau, que les vents balaient sans rencontrer d’obstacle. Tandis que l’Europe occidentale reçoit toute l’année l’influence bienfaisante des vents de l’Atlantique, la Russie est limitée au nord par des mers qui gèlent plusieurs mois de l’année. Aussi le froid y est-il vif et durable. A Saint-Pétersbourg et à Moscou, le thermomètre tombe parfois à 30 degrés au-dessous de zéro; il monte aussi parfois à 30 degrés au-dessus. Il est à propos d’observer ici que l’excès du froid exerce une influence fâcheuse sur les travaux publics : d’abord la morte saison est de six mois, tandis qu’elle dure à peine quelques semaines dans notre pays; puis la gelée, qui pénètre le sol à une grande profondeur, impose la nécessité de descendre plus bas les fondations des ouvrages en maçonnerie, et, quand le thermomètre reste longtemps au-dessous de zéro, le fer devient cassant et ne présente plus qu’une médiocre résistance.

De plus le sol se recouvre en hiver d’une épaisse couche de neige. Chez nous, c’est une incommodité dont on cherche à se débarrasser au plus vite. « Pour le Russe, dit M. Collignon, c’est un hôte qui sans doute a ses exigences et ses caprices, mais dont le retour annuel est désiré avec ardeur et salué par de joyeuses fêtes. » Avec la neige vient le traîneau, véhicule préféré des Russes, qui est à la ville et à la campagne le moyen de transport le plus rapide et le plus économique. Le moindre voyage est impossible en certaines provinces pendant l’été, car on n’y voit que des sentiers impraticables. Dès que le thermomètre descend à 5 degrés au-dessous de zéro, ces sentiers, couverts de neige, deviennent les plus belles routes du monde. Les fleuves se gèlent entièrement. Au mois de