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la honte et du vice, légion immense qui rapproche des milliers de créatures adonnées en apparence à des métiers différens, mais condamnées à la même destinée de privations matérielles et d’épreuves morales. C’est pour ces femmes que le salaire se tient à des taux tellement bas qu’on a peine à comprendre qu’il puisse suffire à leur subsistance. C’est surtout dans les industries chimiques, dans les fils et tissus et dans les professions non classées ou équivoques, toujours si nombreuses au sein des grandes villes, que se rencontrent ces ouvrières indigentes. Parmi les femmes employées chez les fabricans d’allumettes chimiques, chez les artificiers, chez les fabricans de chandelles, de veilleuses et de mèches, de gélatine ou de colle, dans l’industrie du caoutchouc, chez les épurateurs d’huile et de graisse, le plus grand nombre ne gagnent que 1 fr. 25 cent. ou 1 fr. 75 cent. ; ce sont aussi là les métiers les plus rebutans. La rémunération n’est pas plus élevée à Paris chez les fabricans de couvertures et de molletons, chez les filateurs de bourre de soie, chez les filateurs et les retordeurs de coton, chez les fabricans de ouate, chez les tisseurs de châles. Dans la plupart de ces états, la moyenne des salaires pour les ouvrières travaillant à l’atelier est de 1 fr. 50 cent, par jour, quelquefois même de 1 fr. 25 cent. Il est incontestable qu’il y a des industries où l’ouvrière est moins rétribuée à Paris qu’en province : aussi ces industries ont-elles un personnel qui à tous les points de vue semble peu recommandable. Elles sont l’asile de l’ignorance, de la paresse et de la débauche. L’enquête de 1864 a signalé ce fait inouï que toutes les filles au-dessous de seize ans employées à Paris dans la fabrication des allumettes chimiques ne savaient ni lire, ni écrire, sans une seule exception, et elles étaient au nombre de 181. Dans l’industrie des filateurs et retordeurs de laine, où la moitié des femmes gagnent seulement 1 fr. 25 cent, ou 1 fr. 50 cent, par jour, les industriels se plaignent que le chômage du lundi soit d’usage parmi les ouvrières. Dans les mêmes conditions d’indigence sont les laveuses et les trieuses de chiffons, celles qui font des ouvrages de sparterie, les ouvrières en bimbeloterie et beaucoup d’autres. Ainsi se compose cette dernière catégorie des ouvrières parisiennes ; il y faudrait joindre une foule de professions plus ou moins avouées comme les marchandes de gâteaux, les vendeuses de jouets sur la voie publique, les femmes qui font des ménages en ville. On ne peut évaluer à moins d’une vingtaine de mille le nombre des infortunées qui dans une grande ville comme Paris se livrent à toutes ces tâches ingrates.

Les cinq catégories que nous venons d’indiquer comprennent les mille divisions des ouvrières parisiennes. Pour connaître les ressources réelles de ces femmes laborieuses, il ne suffit pas de fixer