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eu ce grand mérite : ils ont su gouverner, tantôt avec le roi, tantôt contre le roi, dans l’intérêt du pays. L’impureté des collèges ne touchait point les élus. Paley l’avait dit : « en fin de compte, il s’agit de l’élu et non de l’électeur. » Dans ces élections, orgie, farce ou marché, la main royale ne se montre plus depuis longtemps. Une loi, rendue sous George II, défend aux soldats de se tenir à moins de deux milles de l’élection ; ils ne peuvent revenir que deux jours après. Tous les fonctionnaires pensionnés par la couronne sont exclus du parlement ; les shérifs ne peuvent être élus dans leur comté ; les juges sont exclus du parlement parce qu’ils sont nommés par le roi. Les listes électorales sont faites par des employés des provinces, les inspecteurs des pauvres ; les juges de circuit choisissent des « avocats réviseurs » qui statuent sur les réclamations. On ne voit l’état nulle part dans ces opérations ; on ne l’aperçoit pas davantage le jour de l’élection. Les commissaires électoraux sont le shérif dans le comté, le maire dans les villes, dans les bourgs qui n’ont pas de maire un notable choisi par le shérif. Les élections sont absolument libres ; les partis y sont seuls en présence. Les réunions électorales sont aussi libres que les élections. Quel système est le meilleur, celui qui restreint la liberté, ou celui qui restreint le nombre des électeurs ? L’élection est un duel entre les partis qui a ses règles établies ; l’état y assiste comme un témoin.

Ce système si simple et si honnête ne peut s’appliquer que lorsque les partis ont une organisation séculaire. Il y a bien des pays qui ont des parlemens, des chambres haute et basse ; il y en a peu qui aient le vrai gouvernement parlementaire. Le caractère propre de ce gouvernement est de tenir en présence deux partis, l’un qui occupe le pouvoir, l’autre qui est tout prêt à remplacer le premier, si celui-ci commet quelque faute et cesse de satisfaire les instincts, les intérêts dominans. Dans un tel gouvernement, l’état n’est point quelque chose de supérieur, d’extérieur à tous les partis, qui profite de leurs divisions, dont la force vienne de leur faiblesse, la permanence de leur instabilité. Les idées de la nation s’infiltrent dans le corps électoral, de là elles passent dans une majorité parlementaire, et enfin s’incarnent dans un comité qui se nomme le cabinet. Au-dessus de tout, il y a la couronne, indifférente au moins en apparence et impartiale, qui n’est plus que l’image de l’unité nationale. C’est bien à tort qu’on a cm voir en Angleterre le pays par excellence où les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont séparés et indépendans. Les pouvoirs exécutif et législatif sont au contraire entièrement confondus. Un tel système produirait la tyrannie ou l’anarchie, si les volontés individuelles étaient