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subites grandeurs et répondre aux insulteurs de son passé par la magnificence de sa fortune présente. Quel besoin avait-il de l’argent étranger, lorsqu’il puisait si largement dans les trésors de l’église et dans les coffres de l’état ? Il a laissé un million : quoi d’étonnant ? Le pouvoir en France enrichit vite ; Dubois, premier ministre, avait, en places et en bénéfices ecclésiastiques, près d’un million de revenu. Ce n’est donc pas là, croyons-nous, l’endroit faible et vulnérable de son caractère, cette flétrissure lui doit être épargnée ; mais, s’il n’a pas vendu les intérêts de la France, les a-t-il fidèlement et uniquement servis ?

Reconnaissons-le : ce que Dubois poursuit avec âpreté dans ses négociations, ce n’est ni un accroissement d’influence pour son pays, ni même le repos dont il a besoin. Un seul objet l’occupe : l’affermissement du régent et la consécration de ses droits éventuels à la couronne. De l’intérêt du royaume, il est à peine question dans sa correspondance : le bien de son maître, et, avec l’intérêt du prince, son intérêt à lui, étroitement lié à la fortune du maître, voilà l’unique passion qui l’anime, le grand ressort de son génie et de sa conduite. A Londres comme à La Haye, il est beaucoup moins l’ambassadeur et le représentant de la France que l’envoyé, l’affidé, et, pour parler sa langue, « l’ancien domestique du régent. Il s’est trouvé que l’alliance anglaise, formée dans un intérêt particulier, était d’une bonne politique pour l’Europe et pour la France ; le bien de l’état s’est confondu avec celui du prince : c’est là un surcroît d’avantages, un superflu, que le négociateur est heureux de recueillir ; mais il ne l’a point cherché. Les grands aspects de son œuvre, qui seuls paraissent aujourd’hui et qui la relèvent aux regards de l’histoire, Dubois certainement les a vus, mais ils le touchaient peu, et c’était pour lui, osons le dire, le petit côté.

Dans son dévoûment au régent, il y a une part d’affection sincère qu’il serait injuste de méconnaître. Ni en bien ni en mal, Dubois n’est l’homme des sentimens simples ; les motifs et les moyens, dans sa conduite, sont également combinés : il aime son maître et son élève sans s’oublier lui-même, il entend bien ne pas perdre les profits de son dévoûment et de son esprit. Pour soutenir les combinaisons variées de sa politique, il a déployé des ressources d’intelligence dont notre essai n’a pu donner qu’un faible aperçu. Il faudrait lire la correspondance entière, se placer avec lui au centre des opérations qu’il dirige, et voir à l’œuvre, au milieu des difficultés et des écueils, sur le terrain mouvant des intrigues diplomatiques et des cabales de l’intérieur, cet esprit net, décidé, nerveux et souple, d’une activité qui prévoit tout et fait face à tout, changeant d’expédiens sans s’écarter du but, et, malgré les