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Chateauneuf, à La Haye, servait de confident à la pensée intime du maréchal : jaloux de la supériorité de Dubois, qui l’écrasait, fatigué d’un poste où il s’était ruiné sans dédommagement et avait vieilli sans gloire, tourmenté de sa goutte et de ses créanciers, il se prêta volontiers à un espionnage qui satisfaisait ses rancunes et flattait celles du ministre. Tout en protestant, dans les dépêches officielles, de l’étroit accord qui régnait entre lui et son collègue, il accusait en secret les emportemens de l’abbé, son orgueil ambitieux, ses discours inconsidérés, ses imprudentes démarches, les extravagances de cet ambassadeur vraiment extraordinaire, qu’il dépeignait comme un brouillon et un fou, Huxelles, entrant dans ses chagrins, lui recommandait une patience habile et amassait en silence ces prétendus griefs pour en accabler Dubois le jour où éclaterait l’échec définitif qu’il n’avait pas cessé d’espérer.

L’abbé, dont l’œil profond perçait les intrigues des cours de Vienne et de Madrid, n’avait garde d’ignorer ce qui se tramait au Palais-Royal. Opposant à la cabale d’Huxelles le crédit des amis particuliers du régent, les fortes têtes du tripot des roués, il écrivait à Nancré, à Nocé, leur dénonçait les menées du maréchal, ses lenteurs calculées, ses indiscrétions perfides. « N’est-il pas étonnant qu’au moment où je suis venu à bout de la seule chose qui puisse assurer la paix au royaume et mettre M. le duc d’Orléans hors d’atteinte, et lorsque j’ai toute l’Europe à mes trousses pour nous enlever ce bonheur inespéré, les obstacles viennent de France et de certains serviteurs du prince ? Désormais je tiendrai pour un miracle au-dessus de ceux de saint Antoine de Padoue quand une affaire étrangère réussira. » Dubois connaissait le faible de son ancien élève, tous les accès ouverts aux suggestions mauvaises dans cet esprit aimable et ce cœur incertain. « Il passe sa vie, disait-il, à filer des cordes pour être emmaillotté. » Aussi l’effort le plus sérieux de sa diplomatie est-il tourné de ce côté-là ; le duc d’Orléans lui coûte plus à diriger et à retenir que le roi George à persuader. « Je vous supplie, monseigneur, de ne communiquer mes lettres à personne et de ne pas les laisser tomber entre les mains des canailles qui touchent à vos papiers, car nous avons besoin du secret. J’espère aussi qu’on prendra des moyens pour faire taire le carillon du Palais-Royal, de peur qu’à force de sonner les cloches on n’attire le tonnerre. » Dans sa guerre contre Huxelles, Dubois se donne tous les mérites, comme il a tous les droits : scrupuleux observateur des formes, il reçoit avec déférence les ordres du ministre, fait appel « à la supériorité de ses lumières, et l’invoque comme un dévot son saint patron ; » il prie le commis Pecquet de lui montrer le droit chemin du cœur et de l’estime « de ce grand homme, »