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dicalisme ou du bonapartisme. C’est ià ce qu’on veut évidemment. Or quel est pour le moment le meilleur moyen de se défendre, de rendre impossibles les usurpations radicales et les usurpations bonapartistes ? Est-ce de continuer à poursuivre ce régime définitif qui fuit sans cesse, dont le seul nom suffit à réveiller toutes les divisions et à frapper tous les efforts d’impuissance ? Puisqu’on ne le peut pas, puisqu’on vient de constater encore une fois combien les impatiences des partis sont chimériques quand elles ne sont pas dangereuses, il ne reste plus qu’un moyen sérieux et pratique : c’est d’en revenir tout simplement à ce pacte de Bordeaux, qui depuis quelque temps est fort maltraité, nous en convenons. Il est tourné en ridicule, on se fait un jeu de le violer de tous les côtés, on y fait entrer tout ce qu’on veut, on le proclame suranné et inefficace. Et cependant, tel qu’il est, dans ses termes essentiels, il est encore en définitive la sauvegarde de ce qui nous reste de sécurité ; même quand on fait tout ce qu’on peut pour s’en affranchir, on est forcé d’y revenir par le sentiment de l’impossibilité de toutes les combinaisons qu’on essaie. On y revient comme on revient sous le canon d’une citadelle protectrice, après avoir tenté la fortune dans la campagne. Puisqu’on ne peut pas faire autrement, pourquoi ne pas s’arranger au moins de façon à tirer le meilleur parti possible de ce provisoire nécessaire ? Pourquoi ne pas se rattacher sans arrière-pensée à cette trêve patriotique des opinions en la pratiquant avec sincérité ? Ce qu’il y a eu de particulier jusqu’ici, c’est qu’on a beaucoup parlé du pacte de Bordeaux et qu’on l’a toujours très peu respecté. Qu’on en parle un peu moins et qu’on le respecte un peu plus. L’essentiel est qu’il subsiste une situation qui ne soit à personne, surtout à aucun parti, qui n’appartienne qu’à la France, et sur laquelle la France seule ait le droit de se prononcer dans sa liberté. Jusque-là, en quoi le pacte de Bordeaux gêne-t-il cette œuvre préliminaire de réorganisation qui nous est imposée, et dont on s’était fait un mot d’ordre ? En quoi empêche-t-il toutes les réformes administratives et financières ? L’autre jour, on discutait une loi sur la reconstitution du conseil d’état, une réforme dans l’organisation de la magistrature. Est-ce que, sous la république comme sous la monarchie, le pays n’a pas besoin d’un conseil d’état préparant, coordonnant les lois, d’une magistrature intègre, indépendante et éclairée ? Dans cet ordre de choses, le pacte de Bordeaux n’est nullement insuffisant, il permet tout. On aurait pu sans doute s’en servir plus efficacement. Ce qu’on n’a pas fait, on le peut encore ; mais la condition première, c’est que dans l’assemblée comme dans le gouvernement il y ait un même esprit, une même volonté résolue de ne rien trancher par subterfuge, d’écarter tout ce qui ne fait que diviser, toutes les questions qui ne peuvent être résolues sans mettre en doute la paix publique, cette paix intérieure dont nous avons besoin avant tout pour achever l’œuvre de délivrance nationale.