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dit Néhémie lui-même, je disputai avec eux, je les maudis, j’en battis même quelques-uns et leur arrachai les cheveux. » Ce moyen lui réussit quelquefois, mais pas avec tous les transgresseurs. Un certain Manassé, petit-fils de grand-prêtre, avait épousé la fille de Samballat, chef samaritain. Sur son refus de répudier sa femme, il fut banni du pays juif. Accueilli et protégé par son beau-père, il fut reconnu par les Samaritains comme investi par son origine sacerdotale du droit de présider à leur culte hérétique, et c’est pour lui qu’ils élevèrent sur le mont Garizim un temple qui devait pendant près de trois siècles se poser en rival de celui de Jérusalem.

Cependant la révolution sacerdotale vint à bout des résistances individuelles. Le peuple, en grande majorité, se plia d’abord, et s’habitua bientôt à ce qui lui avait semblé très lourd à porter dans les premiers temps. Ce n’est pas la seule fois dans l’histoire qu’une population plus ou moins revêche se laisse ainsi pétrir par une hiérarchie sacerdotale, au point d’oublier qu’elle n’a pas toujours été si malléable. Il est certain que l’œuvre d’Esdras et de Néhémie détermina pour toujours la direction suivie par leur peuple dans le cours des siècles. Si cette solidité merveilleuse fait la grandeur de leur œuvre, elle ne doit pas nous en cacher les défauts. En particulier, c’est à la discipline minutieuse à laquelle tout Israélite fut désormais astreint qu’il faut attribuer l’extinction à peu près totale du prophétisme, cette fleur admirable du génie d’Israël. Le prophète diffère absolument du prêtre. Il n’est point l’homme d’une institution, il ne connaît ni l’esprit de corps, ni la diplomatie raffinée des vieux clergés. Il est avant tout l’homme de l’inspiration individuelle, il lui faut la liberté de mouvement. Toute orthodoxie, dogmatique ou rituelle, se superposant au principe fondamental qu’il proclame, lui est insupportable. Quelle place restait-il à l’ancien libre esprit des voyans dans cette organisation qui avait tout prévu, tout mesuré, tout réglé, dans la vie religieuse? En fait, le prophétisme n’a pas survécu à l’introduction de la législation d’Esdras, ou plutôt, lorsqu’ après quatre ou cinq siècles d’assoupissement il se réveilla avec Jean-Baptiste et Jésus, — car le christianisme est bien certainement le fils du prophétisme hébreu, — ce fut pour se mettre en opposition avec le principe sacerdotal.

Remarquons bien toutefois qu’Esdras, en poursuivant la transformation du peuple juif selon les exigences de ce principe, c’est-à-dire en posant systématiquement le prêtre comme l’intermédiaire obligé du fidèle et de la Divinité, n’eut pas en vue le triomphe proprement dit du sacerdoce. Ce qu’il voulait avant tout, c’était l’observation de la loi, et, s’il donna au prêtre une telle prépondérance dans l’organisme religieux d’Israël, c’est qu’à lui, comme à