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son travail : une route, un canal, le soleil, la pluie, l’application d’un nouveau système dont il n’est pas l’inventeur, voilà autant de circonstances qui l’ont favorisé, et qui doivent enrichir l’état. Que les agens du fisc ne s’endorment pas : le progrès de la rente est rapide et continu, et s’ils négligent de refaire les rôles, voilà toute une classe nouvelle de privilégiés qui prend racine sur le sol.

Quelle exploitation peut se soutenir avec de telles menaces, quelle industrie prospérer sous l’œil jaloux d’un propriétaire tout-puissant et irresponsable ? L’histoire n’offre pas l’exemple d’un despotisme aussi vexatoire, mais elle peut nous montrer les suites d’un impôt dégénéré, toutes les fois qu’il a servi à la rapacité du fisc pour déguiser de véritables spoliations. Qu’on visite la Turquie d’Europe et les plaines jadis fertiles de la Grèce d’Asie : partout des terres d’une richesse admirable offrent un aspect désolé. Ce sol, berceau de l’antique civilisation, ce sol qui a enfanté tant de peuples vaillans et actifs, suffit à peine à nourrir quelques populations chétives. Les Grecs entreprenans ne cessent de le fouler et de le parcourir en tout sens pour l’intérêt de leur négoce, nul ne songe à le féconder par la culture ; c’est que le fisc de la Porte leur enlèverait bientôt le produit de leurs efforts et les chances de la spéculation. Les capitaux désertent la terre, et les exigences de l’état la frappent de stérilité. N’en déplaise à M. Mill, l’accouplement inégal d’un intérêt général avec des intérêts privés ne peut être que funeste à la terre ; les particuliers, livrés à la merci de l’état, ne tarderont pas à délaisser une industrie sans cesse entravée ; des prolétaires seuls, de pauvres gens vivant au jour le jour, s’accommoderont, comme en Orient, d’une ingrate sujétion.

Reste une ressource désespérée, qui devient aussi le triomphe du parti. L’état, lassé d’une lutte infructueuse, se décide à empiéter encore ; il prend en main l’exploitation et la confie à ses agens, comme aujourd’hui la coupe réglée de ses forêts. N’est-ce pas là le vœu des réformateurs auxquels M. Mill fait appel en commençant ? Lui-même, placé sur la pente, ne peut plus s’arrêter ; il ne fait pas grâce aux terres incultes. Le gouvernement juge de la plus-value qu’elles peuvent acquérir, ordonne à leurs propriétaires de les cultiver ou de les vendre ; il se mêle donc de l’exploitation, il se charge de l’appliquer et de la diriger. Toutes ces terres, « qu’on ne peut enclore sans un acte du parlement, » deviendront propriété nationale, sauf compensation pour les droits du manoir ou de la commune. Et qu’on n’espère pas soustraire à ce niveau les terres où la fantaisie des propriétaires laisse agir la nature ; il serait trop facile vraiment de se dérober à l’impôt en se croisant les bras, sous prétexte de jouissances aristocratiques. Si l’on veut conférer au