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spéculations commerciales, dans ses opérations de banque de campagne, sorte d’industrie dont nos agriculteurs n’ont guère l’idée.

En définitive, quoique la petite propriété soit de longtemps impossible dans les plaines du Latium, il y aurait tout intérêt à diminuer la grande, à la diviser, à créer la moyenne propriété. On a proposé d’augmenter la longueur des baux : il en a été fait d’emphytéotiques ; mais le fermier pour cent ans est devenu une sorte de second propriétaire qui, à l’exemple du premier, a sous-loué son bail à des nomades du dehors. Si l’appropriation du sol par le paysan même est encore un desideratum irréalisable, il faut tout au moins que la terre passe aux mains des capitalistes. Ceux-là seuls ont l’énergie nécessaire pour réagir contre ce qu’on pourrait appeler à Rome l’étreinte du vide. L’activité privée, substituée au régime des domaines princiers et de la mainmorte, voilà donc le vrai remède. Il agira lentement, car ce n’est pas sans de puissantes raisons que la grande exploitation s’est perpétuée pendant des siècles dans ces plaines malsaines. Elle a fait place sur les coteaux aux petites entreprises, parce que les coteaux sont peuplés ; mais en bas l’homme meurt. C’est là une des graves difficultés du problème. Une révolution peut changer les lois économiques, peut-elle faire surgir des hommes là où il n’y en a pas ?

Tout ce qu’il est permis d’espérer, c’est de fixer un jour bon nombre des ouvriers nomades qui font dans cette campagne le peu de culture qu’on y trouve. Au-dessous des domestiques à l’année, qui habitent la tenuta pendant les mois salubres tout au moins, est en effet la foule des travailleurs, manouvriers de toute provenance dont on ne peut se passer, mais qu’on ne garde que quelques jours ou quelques semaines. Montagnards de la Sabine ou des Abruzzes, ils descendent comme des hordes demi-sauvages chaque année deux fois : la première, c’est pour les travaux préparatoires, labours, binages, sarclages, — la seconde, c’est pour le fanage ou la moisson. Enrôlés dans leur pays même par les agens du mercante, ils ne viennent que sous la condition de s’en retourner au plus vite. Les Aquilani exécutent les terrassemens, les Amatriciani font les plantations et tressent les haies d’épines mortes, les Marchezzini et les ciocciari di Frosinone binent, fanent, moissonnent. Tout ce monde n’a rien de plus pressé que de s’en revenir au pays. C’est que la plaine ne leur fournit pas d’asiles ; pendant les travaux d’été, ils en sont réduits à coucher à la belle étoile ; ils voient chaque soir emporter mortes ou mourantes les victimes de la journée, frappées par la malaria. L’étendue des exploitations empêche de donner des abris qui suffisent à ces masses d’hommes venus pour quelques jours. Chacun sait que les grandes agglomérations de travailleurs