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possessions anglaises des mers de Chine, sont deux grands faits qui marqueront dans l’histoire de la Cochinchine française, et donneront à son développement commercial une vigoureuse impulsion.

Nous avons exposé sommairement quelle avait été la nature des tentatives agricoles et industrielles faites dans le pays, nous avons dit les obstacles qu’elles avaient rencontrés et rendu compte des mesures prises par l’administration pour en diminuer le nombre. Il nous reste à parler du mouvement qui se prépare, et dont les élémens sont en grande partie rassemblés aujourd’hui.

C’est sur les cultures industrielles et principalement sur celle de la canne que se porte l’attention des capitalistes ; toutes les conditions d’une riche exploitation sucrière paraissent en effet réunies sur notre territoire. A Bourbon, aux Antilles, le propriétaire doit faire venir de l’extérieur ses mules, leur nourriture et celle de ses travailleurs ; fréquemment il est obligé, pour sauver ses récoltes, de consacrer une partie de ses capitaux à l’établissement d’irrigations artificielles, ces récoltes elles-mêmes ne se font que tous les vingt mois. En Cochinchine, on a sous la main les buffles, puissans auxiliaires de l’homme, qui les nourrit à peu de frais ; le travailleur y trouve largement à vivre, une saison de pluies abondantes semble garantir le succès ; les récoltes sont plus fréquentes, les voies de communication généralement assurées, et les transports peu coûteux.

Quelques esprits, frappés de ce concours des chances les plus favorables à l’industrie sucrière, ont paru surpris que le gouvernement ne se mît pas à l’œuvre pour en tirer immédiatement tout le parti possible, et, s’appuyant des résultats obtenus par les Hollandais à Java, ont exprimé le vœu que la culture de la canne devînt en Cochinchine la culture d’état. Sans entrer dans la discussion des mesures indiquées par les spécialistes comme étant les plus propres à dégager les finances de la colonie de toute allocation métropolitaine, nous pensons que l’application de ces mesures, surtout à l’époque où elles ont été proposées, eût jeté le gouvernement dans les embarras les plus graves. A Java, le gouvernement hollandais n’a fait que se substituer au gouvernement indigène, dont les exigences fiscales ne laissaient à l’habitant qu’une faible jouissance de la propriété. Une substitution du même genre s’est bien produite en Cochinchine, et l’administration française a remplacé celle de la cour de Hué ; mais les conditions d’existence de la population conquise étaient entièrement différentes. L’Annamite était agriculteur, propriétaire, homme libre : devenus ses maîtres par le droit d’une conquête que justifiaient les intérêts de la civilisation, nous nous efforçons de lui prouver qu’il n’a pas cessé d’être libre, qu’il