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Avec des neveux comme ceux-là, toujours en fond de belle humeur, si bien faits pour aimer et pour peindre les saillies pétulantes d’une société émancipée, la marquise n’avait plus à redouter l’ennui de l’isolement ni l’abandon : aussi bien leur gaîté complaisante était-elle son meilleur espoir et son plus sûr préservatif. Les grands parens, fatigués, chagrins, ou absorbés dans le sentiment de leur importance politique, ne lui offraient que des ressources incertaines et passagères. Le lieutenant de police, d’Argenson, prend les sceaux et les finances en 1718 ; il monte sur un faîte d’où l’on perd facilement de vue les siens, surtout quand ils habitent à soixante lieues des antichambres du Palais-Royal : il peut devenir un protecteur, ce n’est plus un correspondant. Nous ne trouvons guère qu’une seule lettre de lui ; elle est du 27 juin 1720, époque de sa disgrâce, et répond aux complimens de condoléance que la marquise lui avait adressés : « Le nouvel événement, madame, dont vous me faites l’honneur de m’écrire d’une manière si gracieuse a été accompagné de circonstances si honorables pour moi et si obligeantes de la part de son altesse royale que je ne puis assez me louer du repos que ses bontés me procurent. Je vous remercie de tout mon cœur, madame, de l’intérêt que vous voulez bien y prendre, et je vous prie de compter pour toujours sur mon zèle et sur mon respect. » Si d’Argenson a rendu son portefeuille, il a gardé le style d’un ministre. Moins rares sont les lettres de Caumartin de Saint-Ange ; mais il se borne à ramasser les grosses nouvelles, celles qui courent les rues : « l’argent est plus caché que jamais, tout le monde meurt de faim… M. de Saint-Simon a parlé en termes de crocheteur au premier président. » Il disparaît d’ailleurs un des premiers en 1720. L’évêque de Blois, qu’un exil de six mois sous Louis XIV avait puni d’un discours académique trop spirituel, semble oublier tous ses talens quand il écrit à la marquise ; son style est fade et prolixe, on n’y trouve pas le plus petit mot pour rire : l’onction chrétienne a remplacé les épigrammes. Il avait l’habitude de dicter ses lettres ; or, s’il est des personnages, comme dit la comédie, qui n’ont d’esprit qu’avec leur secrétaire, il perdait, lui, ses agrémens et sa finesse en se servant d’un interprète. Le premier rang dans ce commerce épistolaire revient à Caumartin de Boissy ; c’est lui qui, avec ses neveux, soutient l’honneur de la famille. Son imagination est, comme son cœur, inépuisable ; il comble sa sœur de prévenances affectueuses, il la régale de bons mots, de récits bien tournés, de portraits pris sur le vif : c’est le plus aimable et le plus exact des correspondans.

Caumartin de Boissy s’était engagé fort avant dans les affaires du système ; il y réussit d’abord, ses lettres à certains momens