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mois, d’octobre à mai, ces végétaux dorment ensevelis sous une épaisse couche de neige ; lorsqu’elle a disparu, des vents violens et continus les couchent sur le sol : la température de l’air oscille autour de zéro, et s’élève rarement à 10 degrés au-dessus. Les nuages, attirés par la cime isolée du Canigou, l’entourent presque toujours d’une brume épaisse identique aux brouillards de la plaine. Quand le soleil luit, le sol s’échauffe, comme nous l’avons vu, plus que l’air, et les plantes alpines sont dans les conditions analogues a celles des végétaux élevés sur couche dans nos bâches ou dans nos serres. Peu de plantes peuvent s’accommoder d’un pareil régime. Cependant j’ai trouvé 58 espèces sur le sommet du Canigou. Il y en a davantage ; sur la cime du Faulhorn, après plusieurs séjours de quelques semaines renouvelés pendant trois ans, j’avais cueilli sur le cône terminal, situé à 100 mètres au-dessous de celui du Canigou, mais à 4 degrés latitudinaux plus au nord, 132 espèces de plantes phanérogames ; Ramond, sur le pic du Midi de Bagnères, plus haut de 100 mètres que le Canigou, avait trouvé 72 espèces.

Ma florule du sommet de cette montagne n’est donc pas complète ; cependant elle est suffisante pour donner lieu à quelques considérations de géographie et de topographie botaniques. D’abord pas une de ces plantes ne croît dans la plaine de Perpignan, dont la végétation est celle du littoral méditerranéen. Sur 58 espèces, il y en a 50 qu’on retrouve dans les Alpes ; les 8 autres, inconnues dans les Alpes, sont propres aux Pyrénées ou reparaissent dans les Cévennes et les montagnes du centre de la France[1]. Ainsi la flore du Canigou est une flore essentiellement alpine ; mais nous avons démontré, dans une autre étude[2], que la flore des Pyrénées n’est qu’une extension de la flore polaire, qui s’est avancée pendant l’époque glaciaire jusque dans les latitudes moyennes de l’Europe. Cette période a été suivie d’un réchauffement dont nous éprouvons les effets ; alors les plantes polaires et scandinaves se sont réfugiées dans les montagnes, comme les chamois et les marmottes, qui vivaient autrefois dans nos plaines. Cela est si vrai que le sommet du Canigou nous offre 17 plantes[3] qui, habitant les Alpes, se retrouvent également dans les régions polaires telles que le Spitzberg, la Nouvelle-Zemble, l’Asie et l’Amérique arctiques, y compris le Groënland, où l’époque glaciaire règne encore actuelle-

  1. Ce sont : Silène ciliata, Saxifraga geranioides, Leucanthemum palmatum, Senecio leucophyllus, Jasione perennis, Myosotis pyrenaica, Pedicularis pyrenaica, Oreochloa disticha.
  2. Voyez la Revue du 1er février 1870.
  3. Anemone alpina, Draba hirta, Silene acaulis, Cerastium alpinum, Saxifraga oppositifolia, S. exarata, Alchimilla alpina, Aster alpinus, Thymus serpyllum, Vaceinium uliginosum, Oxyria digyna, Armoria alpina, Juniperus communis, Luzula spicata, Juncus trifidus, Poa alpina et P. laxa.