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Que fera-t-on pour dénouer ce conflit ? La chambre n’a été un instant suspendue après son vote que pour être convoquée de nouveau à bref délai, elle a déjà repris ses séances. L’intention évidente, avouée, du gouvernement est de maintenir son œuvre ; il la fera modifier sur quelques points de détail par la chambre des députés, et encore une fois il la portera devant la chambre haute. Les seigneurs pousseront-ils la résistance jusqu’au bout ? Ce serait assez vraisemblable, si on les laissait faire ; mais on ne les laissera pas faire. Le gouvernement semble parfaitement décidé à ne pas courir la chance d’un nouvel échec, et à se servir, s’il le faut, des moyens héroïques. Il ne transformera pas sans doute brutalement la chambre haute, comme on l’a dit avec un peu de légèreté ; il fera une promotion de seigneurs, il exercera une pression plus ou moins constitutionnelle sur les récalcitrans ; déjà il a destitué quelques-uns de ceux qui occupaient de grandes fonctions administratives. M. de Witzleben, président de la province de Saxe, et M. de Klützow, directeur au ministère de l’intérieur, sont du nombre des victimes. Le gouvernement prussien est accoutumé à ce jeu. Il a tenu tête autrefois à la chambre des députés dans des circonstances bien moins favorables et pour de moins bonnes raisons, il se servira maintenant de la seconde chambre contre la chambre haute. L’empereur Guillaume paraît fort disposé à soutenir ses ministres dans cette lutte. Le résultat n’est pas douteux ; on n’y arrivera peut-être pas cependant sans des tiraillemens et sans quelques concessions, d’autant plus que les seigneurs, adversaires ou opposans de circonstance, sont après tout les plus fidèles soutiens de la monarchie, et que leurs sentimens au sujet de la loi sur l’organisation des cercles sont peut-être partagés par quelques-uns des ministres, notamment par le ministre de la guerre, M. de Roon.

Qu’en pense M. de Bismarck lui-même ? La question est étrange, on en conviendra, et elle s’est pourtant élevée. M. de Bismarck est resté à Varzin, où il se repose depuis quelques mois ; il a laissé le ministre de l’intérieur, le comte Eulenbourg, se débattre avec l’opposition de la chambre haute ; on est même allé jusqu’à dire qu’il n’était pas fâché au fond de voir son collègue se compromettre, que par un vieux fonds de féodalisme il approuvait secrètement la résistance des seigneurs. Son abstention a été interprétée comme un mouvement de mauvaise humeur ; mais ce sont là des conjectures bien invraisemblables. Le ministère ne se serait point évidemment engagé dans une telle affaire, il ne persisterait pas aujourd’hui dans ses projets sans l’aveu du prince-chancelier, et puis on oublie une chose : M. de Bismarck n’en est plus à s’inquiéter des fantaisies des hobereaux prussiens, — il est libéral ! Il a donné le suffrage universel à son bon peuple d’Allemagne, il fait la guerre aux jésuites, aux évêques, il veut émanciper les paysans, il désavoue les maximes de la force. Tout cela est dans sa politique du mo-