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produit de la vente des esclaves à l’en décharger. Ils n’apportent pas, à l’appui de ces dires, la plus légère preuve, et dès le lendemain de la mort du père c’étaient eux qui faisaient inscrire l’orphelin sur les rôles de l’impôt, dans la même catégorie que l’opulent Timothée, fils de Conon, et que les plus riches citoyens de la ville, faisant évaluer ainsi à 15 talens la fortune dont la gestion leur était confiée ! Quel tissu de contradictions ! Le discours aboutit de cette manière à une péroraison qui s’en détache plus nettement que ce n’est l’usage dans les plaidoyers attiques. La phrase s’y fait courte, nerveuse, indignée : on y sent vibrer toute la juste colère qui s’était amassée dans l’âme de Démosthène. Ne craignant pas de faire appel au cœur et à la pitié des juges, le jeune homme déplore la situation où l’a réduit la cruauté et la perfidie de ceux qui auraient dû être ses protecteurs naturels. La partie n’est point égale entre lui et Aphobos. Condamné, Aphobos n’aura même rien à prendre sur sa fortune propre ; il sera seulement contraint de rendre l’argent volé. Que si au contraire ce coupable était acquitté par les quatre cinquièmes des voix, Démosthène, suivant la règle de tous ces procès, aurait à payer l’épobélie, c’est-à-dire une obole par drachme, ou le sixième de la somme qu’il réclamait à titre de dommages et intérêts. Imaginée pour faire réfléchir ceux qui auraient été enclins à intenter sans cesse à leurs concitoyens de méchans procès, cette disposition de la loi athénienne pouvait, en cas d’erreur du tribunal, consommer le désastre d’un innocent. Pour Démosthène, c’eût été le dernier coup : surtout après le sacrifice auquel l’avait encore forcé tout récemment l’habile manœuvre de Thrasylochos, il lui devenait impossible de réunir encore près de 2 talens pour acquitter cette amende. Obligée de quitter sa maison, qui aurait été vendue au profit du trésor, sa mère serait tombée dans le dénûment, sa jeune sœur aurait perdu tout espoir de s’établir, et lui-même, privé, comme débiteur de l’état, de tous ses droits politiques, aurait vu se fermer sans retour devant lui toute carrière ; c’en était fait de son avenir.

On aimerait à lire la défense d’Aphobos, qu’il avait préparée avec le concours de son beau-frère Onétor. En l’absence de ce document, nous pouvons nous en faire une idée par la réplique de Démosthène. Les tuteurs s’efforçaient surtout d’écarter le reproche qui leur était adressé de n’avoir point affermé les biens du pupille. D’après eux, le mourant avait exprimé de la manière la plus formelle le désir que l’on ne divulguât point le chiffre de sa fortune, son beau-père Gylon, de qui lui venait une partie de cet argent, étant mort sans avoir payé une amende qu’il devait à l’état ; il craignait, prétendaient-ils, qu’on n’eût l’idée de demander compte à sa succession des sommes encore dues de ce chef au trésor.