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à la tête rasée, aux blancs vêtemens de lin, après l’ouverture des portes du temple, entonnaient le salut du matin et consacraient les offrandes apportées sur l’autel! La flamme jaillissait, activée par le flabellum d’un desservant, le chant des flûtes éclatait, les cymbales retentissaient, les tambours de basque mugissaient, la statue peinte d’Isis, habillée d’or et de pierreries, tenant d’une main le sistre et la croix ansée de l’autre, étincelait au fond du sanctuaire, le bambino Harpocrates, un doigt dans la bouche, suivait d’un vague regard la cérémonie, Anubis, le dieu à la tête de chacal, paraissait flairer quelque piste funèbre, les longues files de bruns personnages sculptés sur des tables isiaques, couvertes de caractères hiéroglyphiques, semblaient s’animer et s’avancer en silence, d’un pas hiératique, vers le trône d’un Osiris infernal de couleur verte, au diadème blanc. Alors, l’âme envahie par mille terreurs, subjuguée par le sombre génie des dieux d’Egypte, écrasée sous le poids de ses souillures, Délia se traînait aux pieds des prêtres pour obtenir l’absolution de ses péchés; elle donnait, promettait tout, faisait des vœux, se livrait à de longues et minutieuses purifications dans une cella du temple, éloignait ses amans, demeurait pure pendant un certain nombre de jours, puis, vêtue de lin, la chevelure dénouée, prosternée devant les portes du sanctuaire, deux fois par jour elle disait les louanges d’Isis[1]. Ces dévotions à Isis, avec leur cortège de purifications, d’heures d’oraison et de retraite, n’étaient point rares d’ailleurs dans le monde des affranchies, presque toutes d’origine orientale, et il serait facile d’indiquer dans les poèmes de Properce et d’Ovide plus d’un passage analogue.

Bien qu’au milieu de ses langueurs maladives le poète cherche à dissiper sa tristesse en évoquant de riantes visions d’amour, bien qu’il se laisse aller à peindre en un ravissant tableau d’intérieur la scène de son retour dans la maison de Délia, un soupçon jaloux le mord au cœur, et il envoie dans son enfer quiconque a violé ses amours et désire qu’il reste longtemps dans les camps; mais il se rassérène bientôt. Le sentiment des basses réalités l’abandonne; d’un puissant coup d’aile, son génie l’emporte loin de ce monde. Grandie et purifiée dans l’idéal. Délia apparaît au poète comme une « Gretchen au rouet, » et l’horrible vieille qui la garde comme une mère attentive et tendre qui pendant la veillée raconte à son enfant toute sorte de merveilleuses légendes des anciens temps. « Reste chaste, ma Délia, je t’en prie; gardienne de la sainte pudeur, que ta vieille mère veille toujours auprès de toi. Qu’elle te conte des histoires à la lueur de la lampe, tout en dévidant sa

  1. Tib., l. I, III, 27-32, Cf. Antiquités d’Herculanum, gravées par Th. Piroli. Peintures, t. II, pl. XXX et XXXI.