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sexes sur le grand marché du mariage se balancent à peu près.

Cela est de grande conséquence à tous les points de vue. L’importance individuelle prise par chaque femme à mesure que le nombre total diminue, relativement à celui du sexe masculin, n’aboutit à rien moins qu’à changer toutes les lois du monde moral. Il faut une dose de raison extraordinaire pour que la femme ne tende pas à devenir un despote capricieux, déployant toutes les ressources et les exigences de la coquetterie, sûre qu’elle est d’avoir toujours à sa suite un peuple d’adorateurs. D’un autre côté, la masse des hommes exclue du mariage sera fort exposée à développer tous les vices du célibat, la grossièreté, l’ivrognerie, tandis que la femme, perdant aussi une partie des qualités de son sexe, risquera de prendre quelque chose d’impérieux, de rude, de trop masculin en un mot. Il est vrai qu’à cette supériorité de situation elle devra d’être affranchie de ces travaux musculaires qui ailleurs l’accablent et la dégradent. Elle pourra enfin devenir un objet de respect, un but de jalouse émulation. Il n’en reste pas moins inévitable qu’ayant tant de supériorités dans la pratique elle soit prise d’une double tentation. Elle voudra donner à ces avantages de sa situation une consécration théorique en substituant une morale nouvelle aux vieilles maximes puritaines d’obéissance ; elle se proposera d’étendre les droits que la législation lui confère.

Les faits aux États-Unis ne sont que trop conformes à ces inductions. La supériorité masculine est traitée avec le mépris qui ne manque jamais aux pouvoirs que l’on sent sur le penchant de la ruine. Là, non plus qu’ailleurs, ne règne cette tolérance dont on parle tant et qu’on pratique si peu dans les deux mondes. On le prend de très haut avec le sexe fort, surtout dans l’Ohio, le Massachusetts, quelques autres états de l’ouest. La théorie de la supériorité de la femme y est parfois professée à mots peu couverts. Écoutez Mlle Élisa Farnham. « La femme, selon cet orateur, est positivement supérieure à l’homme, même sous le rapport intellectuel ; l’intuition, qui est son lot, n’est-elle pas supérieure à la réflexion lente et lourde, pénible et laborieux apanage du sexe masculin ? L’homme est condamné à rester grossier, quoi qu’il fasse. » En moins de mots, on nous signifie que la femme est à nous précisément « ce que l’homme lui-même est au gorille[1]. » En conséquence, le sexe masculin est invité à céder à l’autre moitié de l’espèce la direction des affaires. L’empire de la femme va marquer une nouvelle phase dans l’histoire de l’humanité. On veut bien ajouter que ce sera pour notre bonheur ; notre subordination nous rapportera plus que ne l’a fait notre

  1. Voyez, sur l’état de la question, l’étude de M. Émile Montégut, la Vie américaine, dans la Revue du 1er mai 1868.