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core. Dans un enclos ceint d’une haie vive ou d’une palissade, ordinairement au milieu d’une pelouse plantée d’arbres fruitiers, s’élève d’abord la maison principale, occupée par le gospodar et ses enfans, et parfois par un autre couple avec sa progéniture. Là se trouve la grande chambre où la famille prend ses repas en commun et se réunit le soir pour la veillée. Dans des constructions annexées sont les chambres des autres membres de la famille. Parfois de jeunes ménages se construisent dans l’enclos une demeure séparée, sans sortir néanmoins de l’association. A côté, il y a les étables, les granges, les remises, le séchoir de maïs, ce qui constitue un ensemble de bâtimens considérable. C’est un corps de ferme qui rappelle assez bien les grands chalets du Simmenthal, en Suisse, avec leurs nombreuses dépendances. Chaque communauté est com- posée de 10 à 20 personnes : on en rencontre qui comptent 50 ou 60 membres; mais celles-ci forment l’exception.

La population jusqu’ici n’a pas augmenté très rapidement. Les jeunes générations remplacent celles qui s’en vont, et ainsi la composition d’une communauté de famille reste à peu près fixe. Dans celles que j’ai visitées en Croatie et dans les confins militaires, j’ai trouvé généralement trois générations réunies sous le même toit, les grands parens qui se reposent, les fils dans la vigueur de l’âge, dont l’un remplissant les fonctions de gospodar, enfin les petits-enfans de différens âges. Quand il arrive qu’une famille devient trop nombreuse, elle se divise et forme deux communautés. La difficulté de trouver à se caser, la préoccupation du bien-être de la famille, la vie en commun, font obstacle aux mariages trop précoces. Beaucoup de jeunes gens vont en service dans les villes, s’engagent dans l’armée ou dans les fonctions libérales. Ils conservent néanmoins le droit de reprendre leur place dans la maison commune tant qu’ils ne sont pas définitivement fixés ailleurs. Les jeunes filles qui se marient passent dans la famille de celui qu’elles épousent. Parfois, mais rarement, quand les bras manquent, on reçoit le mari de la fille, qui entre alors dans la communauté et y acquiert les mêmes droits que les autres.

Chaque ménage obtient souvent pour l’année la jouissance privée d’un petit champ, dont le produit lui appartient exclusivement; il y sème du chanvre ou du lin, qui, filé par la femme, fournit la toile nécessaire aux besoins du couple et de ses enfans. Les femmes filent aussi la laine de leurs moutons sur un fuseau suspendu qu’elles peuvent faire tourner en marchant ou en gardant le bétail. On en tisse ces étoffes de laine blanche ou brune presque exclusivement portées par les Slaves méridionaux. Les vêtemens blancs des femmes, tout brodés à l’aiguille avec les couleurs les plus vives, sur des dessins qui rappellent l’Orient, sont d’un effet ravissant.