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contre le cardinal de Côme, et leur reprochoit d’avoir mis le feu et le sang dans toute la chrétienté, par le consentement et l’approbation dont il avoit fomenté la ligue et l’union des catholiques françois. Cela étant, voyez combien nous sommes loin de notre compte, et quelle espérance nous devons avoir des secours temporels et spirituels que nous venons chercher ici. »

En présence des événemens dont la France était le théâtre, Sixte-Quint entreprit en effet deux choses, difficiles à concilier en apparence, mais qui ont fini par triompher toutes les deux. L’une était la conservation du catholicisme, gravement compromis en France; l’autre était le maintien de la France à l’état de puissance capable de faire tête à l’Espagne. Si Henri de Navarre était vainqueur de haute lutte, il le serait à la tête des huguenots, soutenus par des auxiliaires de même religion fournis par l’Angleterre, l’Allemagne et la Suisse réformée. Sa victoire serait le triomphe complet et final de la nouvelle confession. Telle était l’opinion générale, car l’Europe vivait alors sous le régime du principe cujus est regio, illius est religio; les sujets suivaient la religion du souverain. En Allemagne, le recès d’Augsbourg avait donné force de loi à la maxime, et l’Angleterre avait passé deux fois avec son prince d’une religion à l’autre. Il était donc permis de croire que le triomphe de Henri de Navarre équivaudrait à la perte de la religion catholique en France ; et la perte du catholicisme en France entraînait peut-être sa perte en Europe. L’Allemagne n’aurait plus qu’à compléter son œuvre à cet égard, l’Italie était sérieusement menacée, la réforme était en faveur à Ferrare, et l’Espagne allait devenir impuissante pour arrêter seule les ravages du torrent. Toutes les correspondances montrent que telle était l’appréciation générale à ce moment, pour les uns avec effroi, pour les autres avec espoir.

Voilà pourquoi, malgré l’opinion personnelle de Sixte-Quint sur le fond des choses, la bulle privatoire préparée par Grégoire XIII contre Henri de Navarre, et adoptée en consistoire avant la mort du pontife, fut lancée par le nouveau pape. La chancellerie l’emporta sur l’opinion individuelle du chef de l’église. M. de Hübner rapporte une dépêche curieuse de Philippe II, qui montre que cet esprit profond ne fut pas dupe de la démonstration de la cour romaine. Sixte-Quint était deviné. Il était prouvé que, malgré certaines démonstrations commandées par d’inévitables exigences, le catholicisme intolérant et ambitieux devait céder la place, à jour donné, aux conseils de la tolérance et de la bonne politique.


CH. GIRAUD.