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l’armée. Dès 1790, il pouvait déjà soulager ses sujets de presque tous les impôts extraordinaires.

S’il était économe, il n’avait pas la cruelle avarice de son voisin de Hesse-Cassel; il était instruit, vraiment humain. Dans sa jeunesse, il avait voyagé à travers l’Europe, vu Paris, visité Rome avec Winckelmann. Sans avoir de grandes idées économiques, il maintint en bon point l’agriculture et l’industrie. Il perfectionna l’éducation publique. Il avait beaucoup recherché les femmes, et Mirabeau, qui le visita vers 1784, quand le duc avait déjà quarante-neuf ans, nous le dépeint comme « un véritable Alcibiade : il aime les grâces et les voluptés ; mais elles ne prennent jamais sur son travail. » Comme son maître Frédéric II, il tint à gagner l’opinion des Français, fut en correspondance avec Voltaire, et ne manqua pas la visite à Ferney. Il pratiqua aussi la tolérance, «A une époque où les juifs étaient honteusement persécutés en Allemagne, il avait placé dans son conseil d’état un négociant de Brunswick, nommé Jacobson, juif et attaché à sa religion, mais homme vertueux et sincèrement philanthrope, » dit Beugnot. Ce Jacobson joua un rôle assez remarquable sous le royaume de Westphalie. Comme Frédéric II enfin, Charles-Guillaume aimait à ouvrir dans ses états un asile aux proscrits. Lui qui se montra si dur et si défiant contre les émigrés dans la campagne de France, attira cependant dans sa capitale les plus distingués d’entre eux, qu’il avait pu connaître et apprécier dans la société parisienne d’autrefois. « Et apparemment, raconte encore Beugnot dans ses Mémoires, il était parvenu, à force de soins délicats, à les guérir de l’impatience du retour, car je les ai retrouvés à Brunswick quand j’ai été en prendre possession pour le roi de Westphalie. » En cela, il se distinguait avantageusement de Guillaume de Hesse, qui, tout en partageant leurs passions contre la révolution, n’accorda jamais de secours à leur détresse.

Quand Frédéric II n’eût pas été le plus grand homme de guerre de son temps, la tradition de sa famille aurait poussé Charles-Guillaume à faire son éducation et ses débuts dans l’armée prussienne. Frédéric II et son frère Frédéric-Guillaume avaient épousé deux de ses tantes paternelles; sa mère Charlotte était la propre sœur du grand homme; son oncle Ferdinand de Brunswick était son lieutenant favori et l’un des héros de la guerre de sept ans. C’est sous de tels auspices que Charles-Guillaume, n’étant encore que prince héréditaire, fit ses premières armes contre les Français. Il accompagna Frédéric II en Silésie, en Westphalie, fit avec lui la guerre de la succession de Bavière. Le roi de Prusse parle de lui avec éloge dans ses Mémoires et lui a consacré un des produits de sa veine poétique, l’ode au prince héréditaire de Brunswick. Devenu duc.