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Anglais, Français, Allemands, et que nous nous considérions en quelque sorte comme citoyens d’une patrie nouvelle. L’Europe doit avoir une constitution aussi bien que les états qui la composent; il doit y avoir une législation européenne, un pouvoir exécutif européen, dans le genre des institutions qui fonctionnent à Washington. Il faut une juridiction centrale qui tranche pacifiquement tous les litiges, et ce tribunal, pour faire respecter et exécuter ses arrêts, doit avoir la force à sa disposition, doit commander aux armées combinées de toute l’Europe. C’est donc à la fédération et non aux états particuliers que doit appartenir le pouvoir militaire, et cette condition, tout en étant indispensable, paraît dès l’abord si difficile à réaliser que l’orateur est tout près de désespérer du système même qu’il défend. Comment d’ailleurs imaginer en Europe un pouvoir exécutif central? comment se représenter l’Angleterre, la France, l’Allemagne, se réduisant à n’être que les états particuliers d’une unique nation? Nous avons été dans ces derniers temps si fatigués des excès d’une phraséologie vide et ambitieuse, que nous éprouvons le besoin de rester terre à terre et de nous traîner près des faits. C’est donc dans la pratique et dans les circonstances courantes que nous voulons chercher ce qui peut servir les idées d’union européenne.

Laissons les mots sonores, les vastes pensées, les solutions à grande envergure. Arrêtons-nous à des procédés moins brillans, divisons les difficultés pour les résoudre. Que si les états européens, sans songer à une fédération effective, arrivaient à se concerter sur un grand nombre de points particuliers, sur le service des chemins de fer, des routes et des canaux, sur celui des postes, des télégraphes, sur les institutions de crédit, sur l’exploitation de telle et telle branche de revenus, sur les observations de physique générale, sur l’organisation et les encouragemens à donner au personnel de la science, toutes ces ententes partielles entremêleraient et confondraient peu à peu les intérêts des nations de la manière la plus efficace; elles finiraient par se trouver en quelque sorte fédérées par la force même des choses.

On aperçoit çà et là quelques heureux effets de cet esprit de concorde et d’union internationale. Le traité de Paris en 1856 a proclamé le grand principe de la neutralité maritime en temps de guerre. En 1868, la cour de Saint-Pétersbourg proposa une convention pour interdire l’emploi des balles explosibles. Quoi de plus saisissant que les heureux résultats obtenus par la Société internationale de secours aux blessés? Dès l’année 1863, la Société genevoise d’utilité publique en prend l’initiative; seize états signent, le 22 août 1864, la convention de Genève, et, dans les quatre années