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alimens ; mais la masse ne pouvait sortir de la place : les uns redoutaient leur tyran, chez les autres le fanatisme était encore plus fort que la faim. Alors s’offrait le même tableau que les anciens nous ont fait de Sagonte assiégée par Annibal, de Numance par Scipion, et que devait présenter soixante ans plus tard Paris attaqué par Henri IV. On ne rencontrait plus dans les rues que des individus au visage hâve et décharné, qui pouvaient à peine se soutenir, et qui ressemblaient plus à des squelettes qu’à des corps vivans. On se jetait avec avidité sur les charognes les plus immondes; on mangeait jusqu’au parchemin des livres, et quelques-uns allèrent même jusqu’à tuer des enfans pour dévorer leur chair; mais l’obstination des chefs anabaptistes était inébranlable. Les ardens ne permettaient pas qu’on prononçât le mot de capitulation. La population de Münster, durant ce second siège, qui succéda après un si court intervalle à celui auquel mit fin le traité du 14 février, se trouvait en proie à une exaltation que rien ne peut décrire. La résistance n’était plus, comme lors du premier siège, dirigée par des hommes chez lesquels l’ambition et la haine de l’ancien régime n’avaient point étouffé le bon sens et la prudence. Münster tombait maintenant aux mains d’énergumènes qui avaient juré de s’engloutir sous les ruines de la cité dont ils avaient fait le malheur, «Plutôt mourir que de retourner dans la servitude d’Egypte, » s’écriait Jean de Leyde, qui ne songeait qu’à conserver son odieuse couronne; d’ailleurs, se réservant pour lui et ses familiers ce qui restait encore de vivres mangeables, il échappait aux cruelles angoisses de la faim.

Au commencement de juin, les sommations du général de l’armée allemande étaient encore repoussées avec indignation. Les sectaires se déclaraient résolus à incendier Münster plutôt que de capituler, et sans doute ils eussent accompli cet abominable projet, si la trahison n’eût introduit dans la place l’armée qui devait la délivrer. Un des habitans, nommé Langerstradt, parvint à se rendre près du commandant en chef des forces ennemies; il lui offrit de faciliter aux troupes le moyen de pénétrer dans l’enceinte, autrement dit de leur livrer la ville, car elles ne pouvaient rencontrer, une fois dans Münster, grande résistance, la population étant épuisée et démoralisée. La proposition fut acceptée et l’entreprise fixée à la nuit du 24 juin, A l’heure convenue, 200 lansquenets s’approchèrent de l’endroit où le fossé présentait le moins d’ouverture. Aidés par Langerstradt, ils arrivèrent jusqu’à la contrescarpe, là où le rempart n’atteignait qu’une médiocre hauteur. Les sentinelles surprises furent égorgées et leurs cadavres précipités dans le fossé. Les assaillans s’emparèrent ensuite du bastion attenant à l’arsenal, faisant main basse sur les hommes de garde, et poussèrent jusqu’au cime-