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sensée et droite, et trouvant pour ses idées une expression toujours naturelle et juste, voilà l’idéal que nos professeurs ont en vue. N’en est-il pas cependant un autre que les changemens survenus dans notre société et les progrès de la science ont fait succéder au premier, non pour l’abroger, mais pour le transformer et l’agrandir ? Il est un art aussi nécessaire aujourd’hui que celui de penser logiquement ; c’est l’art de découvrir et d’observer les faits, l’art de comprendre et de contrôler la vérité. » Ainsi les méthodes anciennes, en faisant écrire et disserter les élèves sur des thèmes convenus, se proposaient surtout de leur enseigner à bien penser et à bien parler : c’est un grand mérite qu’il ne faut pas laisser perdre ; la méthode nouvelle s’attachera de plus à faire naître et à développer chez eux cette curiosité intelligente, cet esprit d’investigation et de découverte qui n’est pas seulement indispensable aux travaux scientifiques, mais dont tous les hommes ont besoin dans une société où chacun se fait sa fortune. Quand le but est nettement marqué, il est plus facile de s’entendre sur le chemin qu’on doit suivre pour y parvenir.

Parmi les innovations que souhaite M. Bréal, il en est sur lesquelles on est à peu près d’accord. Tout le monde demande qu’on diminue dans nos classes le nombre des devoirs écrits, et qu’au contraire on rende les explications plus rapides et plus longues. Les étrangers sont bien Surpris quand ils jettent les yeux sur les programmes de nos études. Ils ne peuvent comprendre qu’on sorte d’un collège sans avoir lu Homère et Virgile tout entiers, qu’on ne connaisse Tite-Live et Salluste que par quelques narrations ou quelques discours choisis, qu’on n’explique que par accident les comédies de Térence et les lettres de Pline, ces ouvrages charmans qui conviennent si bien à la jeunesse, — qu’on aborde à peine quelques harangues de Cicéron, et qu’on se tienne toujours loin de sa correspondance[1]. Si l’on veut donner aux jeunes gens le goût de l’antiquité, il faut faire passer devant eux un plus grand nombre d’auteurs, il faut surtout qu’ils lisent des ouvrages entiers, et non, comme on fait aujourd’hui, des fragmens d’ouvrages. C’est seulement par

  1. Nous avons grand’peine à nous figurer la différence qui existe pour les explications entre nos lycées et les gymnases allemands. J’ai sous les yeux le programme des études dans le gymnase de Schleusingen, petite ville de la Prusse, pour 1870. Dans la classe appelle prima, et qui répond à peu près à notre rhétorique, les élèves devaient lire en latin, les deux premiers livres des Odes d’Horace et les deux livres de ses Satires, la Germanie de Tacite et les deux premiers livres de ses Annales, le Brutus de Cicéron et les deux premiers livres des Lettres familières ; en grec, neuf livres de l’Iliade, deux discours de Démosthène, une tragédie de Sophocle, un livre de Thucydide et deux dialogues de Platon. La prima contient de plus des cours d’histoire, de mathématiques, de physique, de français ; on y enseigne l’histoire de la littérature allemande au moyen âge, et les élèves studieux reçoivent en récompense des leçons d’hébreu.