Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/653

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disposé à aimer ce pays-ci. Je voudrais seulement pouvoir le laver. » Et pensant aux ladies de son pays, si exigeantes sur ce point essentiel, si amies de ce genre de confort, auquel nos aïeux semblaient étrangers ; a L’eau n’est pas comptée ici comme un élément de propreté… Milady Brown et moi, nous nous sommes fort divertis en nous représentant lady Blandfort ici ; je suis convaincu qu’elle marcherait sur des échasses. » Notez que Walpole parle ainsi des plus élégantes maisons de Paris.

En général, sa première impression n’est pas favorable : elle se modifiera plus tard sur certains points ; sur d’autres elle persistera, en se fortifiant de jour en jour par de nouvelles raisons à l’appui. « Quant à la ville elle-même, écrit-il, je ne puis pas comprendre où j’avais autrefois les yeux (c’est une allusion à son voyage de 1739) ; c’est bien la plus laide et la plus sotte ville de l’univers. Je n’ai pas vu grand comme la langue de verdure ; il n’y a de vert que leurs treillages et leurs persiennes. Des arbres taillés en forme de pelle et fichés dans des piédestaux de craie, voilà ce qui compose leur paysage. » La matière toujours renaissante de ses épigrammes, c’est le goût français en fait de décorations rustiques, et les contre-sens de ce goût dans l’art des jardins, où Walpole était un maître. Il avait parcouru déjà presque tous les grands châteaux et les lieux les plus pittoresques de l’Angleterre ; il avait amassé, dans ses voyages et dans ses entretiens avec Kent, le dessinateur des plus beaux parcs de l’Angleterre, les matériaux de son Essay on modem gardening, que devait traduire plus tard le duc de Nivernois. Le goût français lui faisait peur d’avance ; dans son histoire de la peinture en Angleterre, Anecdots of painting, il avait jeté ce trait hardi, qui se trouva justifié : « Quand un Français parle du jardin d’Éden, il pense à Versailles. »

Encore Versailles a-t-il pour lui ce trait de grandeur que donne à toute chose l’espace ; mais là où l’espace manque ce ne sont plus que des colifichets, c’est la nature même réduite à l’état de joujou ; c’est une nature d’étagère. Il faut voir les éclats de sa verve quand il touche à ces misères prétentieuses de l’art décoratif en France. C’est surtout dans une lettre au comte de Strafford que l’on peut se donner le spectacle de son amusante colère.

« L’autre, soir, à souper, chez la duchesse de Choiseul, l’intendant de Rouen m’a demandé si nous avions des routes de communication par toute l’Angleterre et l’Ecosse. Il croit, je le suppose, qu’en général nous habitons des forêts et des montagnes sauvages, sans le moindre sentier, et qu’une fois par an quelques législateurs viennent à Paris pour apprendre les arts de la vie civile, tels que ceux de semer du blé, de planter de la vigne et de faire des opéras.