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accepter, et je n’avais guère de motifs pour compter sur des attentions particulières. Aussi, quoique tous les hommes estimés d’un parti aient droit à certains égards, je trouvai les nouveaux ministres fort excusables de n’avoir pas pensé à moi, puisque rien n’avait été demandé en ma faveur par mon plus intime ami et mon plus proche parent. On devait supposer que c’était lui qui connaissait le mieux mes plus secrètes pensées ; s’il se taisait, qui aurait pu exiger que les autres montrassent plus de sollicitude pour moi ? Mais que dire pour excuser la négligence de M. Conway ? Pour lui, j’avais tout sacrifié ; pour lui, j’avais subi les injures, l’oppression, la calomnie ! »

Ce fut le coup décisif qui rompit ses dernières attaches avec la politique. Il écrivit à ses électeurs pour repousser à l’avenir toute candidature, et le 9 septembre 1765 il partait libre pour Paris, où il devait séjourner huit mois. Le souvenir de son oncle y était resté cher à plusieurs grandes familles de France, dans l’intimité desquelles l’ambassadeur avait vécu pendant les sept années de son séjour à Paris. La célébrité du père de Horace, sir Robert, qui avait gouverné pendant vingt et un ans la Grande-Bretagne avec une puissance sans limites, sinon avec une autorité incontestée, sa propre réputation d’auteur, qui avait trouvé des échos au-delà du canal, son amitié enfin avec le frère aîné de Conway, le comte de Hertford, qui remplissait alors en France les fonctions d’ambassadeur, tout cela lui assurait une bienvenue exceptionnelle dans une société blasée, curieuse de nouveautés de visage ou d’idée, ennuyée d’elle-même et cherchant en dehors d’elle de quoi renouveler ses distractions. Sa qualité d’auteur, qui lui nuisait en Angleterre et dont il rougissait parfois comme d’un défaut, servait merveilleusement ses intérêts en France et aidait à son succès. Tandis que ses compatriotes raillaient volontiers en lui l’écrivain, d’abord parce qu’il était un nobleman, un grand seigneur, et secondement parce qu’il était un gentleman, un homme du monde (c’est lord Byron qui nous donne cette indication), à Paris au contraire, où l’on aimait cette sorte de mélange, on faisait fête d’avance au gentilhomme écrivain. La liste de ses ouvrages était déjà étendue et variée à cette date[1], On parlait surtout dans la société de lord Herford de ce Château d’Otrante qui avait eu un vrai succès de terreur, rendu plus piquant par le ton d’incrédulité à la mode, et dont M. Eidous, l’interprète ordinaire de la littérature anglaise, préparait déjà la traduction. Il est intéressant de voir comment l’œuvre et l’auteur furent jugés dans la Correspondance littéraire de Grimm, quand la traduction

  1. Nous citerons : Ædes Walpolianœ (1747), — Catalogue of noble and Royal authors (1757), — Anecdotes of painting in England (1760), — The Castle of Otranto (1762).