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autre, une jeune sœur, enfant survenue après trente et un ans d’intervalle. Les poètes ne savent pas assez où est leur véritable gloire : ils sont bien humbles ou ils placent bien mal leur orgueil.

Ici la vie était de la lumière ; ici
Marchait, sous le feuillage en avril épaissi,
Sa mère, qu’il tenait par un pan de sa robe.
Souvenirs ! comme tout brusquement se dérobe !
L’aube ouvrant sa corolle à ses regards a lui
Dans ce ciel où flamboie en ce moment sur lui
L’épanouissement effroyable des bombes.
O l’ineffable aurore où volaient des colombes !
Cet homme que voici lugubre était joyeux.
Mille éblouissemens émerveillaient ses yeux.
Printemps ! en ce jardin abondaient les pervenches,
Les roses, et des tas de pâquerettes blanches
Qui toutes semblaient rire au soleil se chauffant,
Et lui-même était fleur, puisqu’il était enfant.

Qu’on relise le petit poème de 1839, qu’on se replace dans le cadre où l’auteur de l’Année terrible mit le tableau de son enfance pure et bien digne d’envie. Quand il écrivit ces pages, il était poète, et voilà tout ; il avait choisi la meilleure part, et il la définissait indépendance et désintéressement. Laissait-il échapper quelques odes inspirées par les événemens contemporains, il eût voulu les appeler simplement historiques, tant il avait de répugnance pour la politique, « ce bruit de charrettes embarrassées, » comme il disait dans son suprême dédain. « Cette tête au front pur, ce sourire naïf » dont il parle,

Cette bouche où jamais n’a passé le mensonge,


tout cela annonçait l’écrivain à la vie sereine, dont le vers ne deviendrait jamais une arme. Les arbres du jardin des Feuillantines, en murmurant à sa mère : « Laisse-nous cet enfant, » promettaient d’en faire un poète, et ils ont tenu parole ; ils répétaient à l’enfant cette leçon « d’être bon, d’être vrai, » chose difficile dans les luttes des partis, de se réfugier dans la nature contre les atteintes « du monde où l’esprit se corrompt. » — « Aimez les champs ! » redisait-il lui-même à la petite génération qui croissait autour de lui, et du bruit des villes, où l’on voit « le choc des passions humaines, » il l’envoyait « aux vallons, aux fontaines, où l’on entend parler Dieu. »

Il paraît bien en effet qu’on ne l’entend point ou qu’on l’entend mal dans les combats de la politique ; nous ne voulons en juger que par ce livre de l’Année terrible. Dieu est traité avec plus ou moins de respect, suivant qu’il paraît favorable aux amis de l’auteur ou à