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environ 20 millions de francs; ce serait donc cette somme, relativement minime, qu’il faudrait prélever par la taxe d’école. Seulement, comme nous ne sommes pas en Amérique, il faudrait l’imposer aux habitans, car certes eux-mêmes ne la voteraient pas. On est étonné de trouver parmi les adversaires les plus acharnés de la gratuité les évêques d’une religion qui s’est toujours fait un devoir de distribuer l’instruction gratuitement. Pourquoi blâmer l’état de suivre l’exemple de l’église? M. Dupanloup oublie-t-il que dès 1647 les puritains du Massachusetts ouvraient une école primaire gratuite dans toute commune de cinquante familles, et une école supérieure où le latin était enseigné dans toute commune de cent familles, — que ce sont ces écoles gratuites, multipliées à l’infini, qui ont fait l’Amérique ce qu’elle est? Contraste pénible, un évêque français combat à la fin du XIXe siècle une mesure adoptée au XVIIe siècle par de pauvres fugitifs malgré leur misère, et pourtant c’est de là qu’est sorti ce monde prodigieux qui s’élève sur l’autre bord de l’Atlantique.


II.

Il nous faut considérer maintenant les sacrifices que les Américains ont faits depuis quelques années pour rendre l’instruction universelle et pour éclairer les foules ignorantes que l’Europe leur envoie. Je prie le lecteur de bien peser la signification des quelques chiffres qui suivent. Je ne puis les transcrire sans émotion, car ils font toucher du doigt la source même de la grandeur des États-Unis. En 1855, l’état de New-York, avec 3,466,000 habitans, dépensait 24 millions de francs ou environ 7 francs par tête; en 1866, la dépense montait à 40 millions pour 4 millions d’habitans et 1 million d’écoliers, soit 10 francs par tête d’habitant et 40 francs par écolier. En France, les pouvoirs publics ne donnaient que 52 millions pour 39 millions d’habitans. Dans le Massachusetts, les dépenses scolaires se sont élevées en 1868-1869 à 4,515,000 dollars ou 23 millions de francs pour une population de 1,457,375 âmes (recensement de 1870) ou plus de 15 francs par tête; en dix ans, de 1858 à 1868, on avait dépensé 45 millions de francs en bâtimens d’écoles. En Pensylvanie, la dépense annuelle montait à 35 millions de francs, ou environ 11 francs par habitant. Voilà les sacrifices que s’imposent les anciens états de l’Atlantique. Ceux de l’ouest ne restent pas en arrière. Je citerai comme exemple l’Ohio et l’Illinois. L’Ohio, avec 2 millions 1/2 d’habitans, a dépensé pour ses écoles en 1869 33 millions de francs ou 13 francs par tête, l’Illinois 32 millions ou 14 francs par tête. Chacun de ces deux états paie annuellement