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Timagène sur la Gaule, où sans doute les Germains se trouvaient mêlés, la biographie de Pomponius Secundus, légat de Germanie supérieure sous Claude, rédigée par Pline l’Ancien son ami, et ce qu’avaient pu écrire enfin Julius Marathus, l’affranchi d’Auguste, Lucius Fenestella, tant d’autres encore? Nous ne pouvons faire de réponses précises à ces questions, puisque le temps nous a privés de tous ces livres; mais nous savons que la moisson pouvait être abondante, et il n’y a pas de motif de croire que Tacite, de propos délibéré, se soit privé de tant de sources utiles.

Sans compter les documens écrits, Tacite, au milieu de Rome, était entouré de témoins fort capables de l’instruire. Il avait pu interroger soit, sur l’extrême nord, Agricola, son beau-père, ou ces déserteurs usipiens qui avaient fait le tour de la grande Bretagne et que la mer avait ensuite jetés sur les côtes de Batavie, soit, sur la Germanie en particulier, les chefs barbares que le sort de la guerre avait amenés prisonniers ou transfuges. On avait vu dans Rome Marbod, Catualda, Vannius, Segimund et son père Ségeste, Arminius lui-même, sa femme Thusaelda et son fils Thumélicus, outre un grand nombre de soldats ou de chefs inférieurs. Tacite avait vécu dans l’intimité du célèbre gouverneur de la Haute-Germanie, Virginius Rufus, mort à quatre-vingt-trois ans après avoir occupé plusieurs fois le consulat, et refusé énergiquement l’empire que ses légions du Rhin voulaient lui décerner. Il lui succéda comme consul en 97, et prononça son oraison funèbre. De son côté, le commerce ne pouvait manquer de lui assurer des informations lointaines et sûres. Un chevalier romain avait été envoyé, sons Néron, jusqu’aux rives sud-est de la Baltique pour acheter de l’ambra, et il avait parcouru sans obstacle ces âpres régions. Beaucoup de découvertes modernes, particulièrement de monnaies, démontrent que les relations commerciales de l’empire avec ces contrées étaient incessantes; les indications de villes orientales dans Ptolémée en sont autant de preuves. Enfin, outre les captifs et les transfuges dans Rome, il y avait les prisonniers romains qui revenaient après avoir fait de longs séjours parmi les barbares; Germanicus, pour sa part, en avait ramené à plusieurs reprises un grand nombre. Pomponius Secundus, vainqueur des Cattes, en avait délivré qui étaient depuis quarante ans, depuis la défaite de Varus, prisonniers en Germanie.

Ce n’est pas tout : Tacite lui-même a pu et dû voir la contrée sur laquelle il nous instruit. Par l’examen de son livre on ne peut que le conjecturer, et au prix de discussions qui ne sont pas concluantes; mais l’étude raisonnée de sa biographie parait plus décisive. Borghesi a construit cette démonstration avec toute la finesse de critique et de calcul qui lui est familière. Voici comment il raisonne. Tacite nous dit lui-même qu’il était préteur quand Domitien