Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment. Il est créé par l’article 3 un fonds d’émancipation, composé d’une taxe sur la propriété et la vente des esclaves, du produit de six loteries annuelles, d’amendes, de dons, souscriptions et legs, enfin de crédits votés sur les budgets généraux ou locaux. On affranchira, chaque année, autant d’esclaves que le permettront les sommes disponibles de ce fonds d’émancipation. L’article à reconnaît à l’esclave le droit de s’affranchir lui-même en se composant un pécule de ce qu’il pourra gagner ou recevoir, et en payant le prix fixé par arbitrage, s’il ne peut être établi de consentement mutuel. Les affranchissemens volontaires sont déclarés (§ VI) exempts de tous droits. Les procès auxquels peuvent donner lieu les affranchissemens sont jugés sommairement (art. 7), et avec appel d’office, quand la décision est contraire à l’esclave. Le gouvernement autorise des sociétés d’émancipation, instituées pour affranchir les esclaves, élever et patronner les affranchis, particulièrement les enfans, sociétés soumises elles-mêmes à la surveillance du juge des orphelins, magistrat qui remplit au Brésil le rôle assigné dans notre législation aux juges de paix vis-à-vis des mineurs et des absens.

Enfin l’article le plus important de la loi, l’article 1er, déclare libres les enfans à naître de la femme esclave depuis le 28 septembre 1871 ; mais il place ces enfans sous l’autorité des maîtres de leurs mères, à la condition d’en prendre soin jusqu’à l’âge de huit ans. À cet âge, le maître a le choix de déclarer s’il entend utiliser les services du mineur jusqu’à vingt et un ans, ou s’il préfère le céder à l’état, qui lui paie une indemnité de 600,000 reis (1,800 fr. environ), et place l’enfant affranchi, jusqu’à vingt et un ans, soit dans les établissemens publics, soit sous la tutelle des sociétés autorisées, qui doivent l’élever, le louer ou l’employer, lui constituer un pécule, et lui trouver à la fin de la période de patronage une situation convenable. À vingt et un ans, tous les enfans qui vont naître à partir de la loi seront entièrement libres, et la servitude ne dépassera pas une génération.

En résumé, l’esclavage au Brésil n’est pas aboli ; il est condamné, ébranlé, adouci, borné. Il ne naîtra plus un seul esclave sur la terre brésilienne, c’est là le fait capital ; mais les 1,500,000 pauvres gens qui sont en ce moment esclaves, maris et femmes, vieillards, jeunes gens, petits enfans, nés pour leur malheur avant l’aurore du 21 septembre, demeurent esclaves. Ils peuvent compter sur la liberté, comme sur un bon numéro de loterie, par suite des facilités de la loi nouvelle, et travailler, redoubler d’efforts, les yeux fixés vers cette espérance. Du moins tous les enfans que le ciel leur enverra désormais seront libres de droit, mais de fait encore esclaves, ou, si l’on veut, encore serfs pendant vingt et un ans.

Les calculs sur la mortalité et sur le chiffre probable des affranchissemens ont permis d’affirmer dans la discussion que l’esclavage tout en-